Dernier Français vivant à avoir participé au Débarquement le 6 juin 1944, Léon Gautier est mort le 3 juillet à l’âge de 100 ans. Il était le dernier membre du commando Kieffer, un bataillon de 177 fusiliers marins qui avait débarqué sur les côtes normandes. Le président Emmanuel Macron lui avait rendu hommage le mois dernier à l’occasion du 79e anniversaire du « D-Day ».
Le vétéran français de la Seconde Guerre mondiale du commando Kieffer Léon Gautier s’entretient avec Emmanuel Macron, lors d’une cérémonie en hommage aux 177 Fusiliers marins français du commando Kieffer qui ont participé au débarquement en Normandie à Colleville-Montgomery, le 6 juin 1944.
Impossible de parler du commando Kieffer sans évoquer le nom de Léon Gautier. Ce dernier vétéran français vivant, qui fut engagé dans l’unique bataillon de l’Hexagone présent le jour J aux côtés des 132 000 soldats alliés. « J’imagine que pour Léon Gautier, cette nouvelle commémoration a la saveur des retrouvailles. Même à 100 ans, je le sais très heureux de pouvoir perpétuer jusqu’au bout le souvenir de la Seconde Guerre mondiale », assure Benjamin Massieu, professeur d’histoire et auteur de l’ouvrage « Les Français du jour J » (éd. Pierre de Taillac, 2019).
Car « Léon Gautier est d’abord ce jeune homme qui s’engage, par patriotisme, dans les premiers au sein des Forces françaises libres alors qu’il n’est âgé que de 17 ans, poursuit l’historien. Mais il est surtout cet infatigable passeur d’histoire. Depuis les années 1980, il a entièrement consacré sa retraite à la mémoire de son unité, au point d’en être devenu aujourd’hui sa plus vibrante incarnation. »
De la carrosserie à la Marine
Rien ne prédestinait ce jeune breton à une telle trajectoire. Né à Rennes le 27 octobre 1922, il est apprenti carrossier lorsque la guerre éclate en 1939. Le jeune homme ressent l’impérieuse nécessité de s’engager et rejoint sans aucune hésitation la Marine dès février 1940 – à l’époque la seule composante des forces armées recrutant des soldats aussi jeunes. Canonnier à bord du cuirassé Courbet, il prend part à la défense de Cherbourg en bombardant la route de Carentan lors de l’invasion allemande. Lorsque sonne l’heure de la défaite, les officiers choisissent de mettre le cap sur l’Angleterre.
Réfugié dans un camp de marins français à Sheffield, près de Liverpool, il apprend à la radio, avec quelques camarades, que le général de Gaulle vient de créer la France libre pour continuer la lutte sous le drapeau français. « Bien sûr, je me suis engagé », raconte le vétéran dans un entretien accordé le 27 octobre 2022 à France 3 Normandie.
Sous les ordres de Philippe Kieffer
Il participe alors au défilé du 14 juillet 1940 à Londres en présence du général de Gaulle et de George VI. Plus tard, il est envoyé dans l’Atlantique à bord du Gallois avant de rejoindre le 2e bataillon de fusiliers marins dans son périple africain, jusqu’en Syrie et au Liban. À l’été 1943, il rallie, avec de nombreux membres de cette unité, les commandos de Philippe Kieffer et s’entraîne à Achnacarry en Écosse. Fin mai 1944, tout comme ses autres compagnons de navigation, il est mis dans le secret des préparatifs du Débarquement de Normandie. « Kieffer nous a rassemblés avant le départ et nous a dit : ‘Messieurs, vous connaissez les plans, vous savez ce qui vous attend, il n’y en a peut-être pas une dizaine d’entre vous qui reviendront intacts. Celui qui ne veut pas partir, qu’il vienne me voir. Je ne lui en voudrai pas.’ Tout le monde est parti », relate Léon Gautier à France 3 Normandie.
Le 6 juin 1944, avec 176 frères d’armes français du 1er bataillon de fusiliers marins de la France libre, il débarque avec la première vague d’assaut sur Sword Beach, à Colleville-Montgomery. La mission du bataillon français dirigé par Philippe Kieffer est double : reprendre le casino d’Ouistreham transformé en forteresse par les Allemands et rejoindre les troupes de la 6e division aéroportée à Bénouville. Objectif atteint : en moins de quatre heures, l’unité française libère 1,8 km de plage. « On est quand même restés 70 jours en première ligne sans relève, se souvient l’ancien soldat. Ça, on n’y croyait pas. On est montés jusque dans l’Eure. À la fin de la campagne, on était 24 à ne pas être blessés. »
Difficile retour à la vie civile
Il finit tout de même par se blesser accidentellement à la cheville lors d’un nouveau séjour en Angleterre en septembre 1944 et se retrouve contraint de quitter les commandos. Démobilisé après la guerre, il épouse Dorothy Banks, une Britannique du corps des transmissions rencontrée outre-Manche, avec qui il aura deux enfants.
Le retour en France est compliqué. Léon Gautier peine à trouver du travail. « Ce retour à la vie civile a été difficile pour tous ces soldats libres, rappelle Benjamin Massieu. Ils étaient mal acceptés car ils renvoient aux autres l’image de ce qu’ils n’avaient pas eu le courage de faire. » Pugnace, il finit par décrocher un emploi dans une carrosserie, mais le manque de travail a raison de son ennui. Il retourne s’installer en Angleterre dans la patrie de sa femme pendant sept ans. « Tous mes copains, comme moi, on s’est retrouvés autant de courage pour reprendre la vie civile et y arriver que pendant la guerre. On avait l’esprit de conquérants qu’on avait pendant la guerre. On l’a retrouvé », raconte Léon Gautier à France 3.
Une vie à transmettre
Puis il s’établit au Cameroun et au Nigeria, où il travaille pour la Compagnie française de l’Afrique occidentale. Mais c’est finalement dans l’Oise qu’il finit sa carrière comme expert automobile, jusqu’à sa retraite. « Dès le début des années 1980, il consacre son temps libre à cet épisode de l’Histoire, à une époque où l’on en parlait encore peu dans les médias, souligne Benjamin Massieu. Il a fallu attendre le président François Mitterrand pour assister aux premières commémorations. » La reconnaissance des engagés de la France libre est tardive car le général de Gaulle préférait évoquer le débarquement en Provence plutôt que celui des côtes normandes, vexé de ne pas avoir été prévenu du « D-Day » par les Britanniques.
Devenu président de l’amicale des anciens du commando Kieffer et gérant du musée du N° 4 Commando, il finit par déménager à Ouistreham, près de sa plage de débarquement, pour répondre aux sollicitations toujours plus nombreuses et pressantes. Depuis les années 1990, Léon Gautier est de toutes les cérémonies. « Il a serré la main de tous les présidents français et étrangers présents aux commémorations. Il a même salué la reine Elizabeth II. Il est très vite devenu un personnage incontournable de ce pan de notre histoire. Aujourd’hui, c’est une petite vedette », lâche dans un sourire bienveillant Benjamin Massieu, devenu au fil du temps l’ami du vétéran.
L’Artisan de paix
Même affaibli par l’âge, « jamais il ne manquerait une cérémonie, ajoute l’historien de 33 ans. Avec son caractère bien trempé et son indéfectible humour, il continue de transmettre aux jeunes générations ce message de paix et de liberté qu’il a porté avec ses frères d’armes, ce 6 juin 1944. »
Mardi, le président français remettra donc, avec Léon Gautier, les bérets verts aux élèves qui viennent de réussir leur stage commando. Puis le chef de l’État lancera officiellement le groupement d’intérêt public chargé de préparer les grandes commémorations prévues pour le 80e anniversaire, l’an prochain. Avec, chacun l’espère, une nouvelle participation de Léon Gautier.