Difficile de savoir qui va prendre la tête du pays malgré la victoire écrasante du parti d’opposition aux législatives en mai, mais le parti progressiste a été écarté.
Le royaume thaïlandais est dans l’incertitude. Les scenarii pour déterminer qui prendra la tête du pays jeudi se multiplient sans qu’il ne soit possible de faire émerger un favori. Après la victoire écrasante du parti d’opposition Move Forward aux législatives, son leader, Pita Limjaroenrat, aurait logiquement dû obtenir le poste de Premier ministre.
C’était sans compter l’armée : au pouvoir depuis près d’une décennie, elle a mis en place une Constitution qui lui est favorable. Non seulement, la candidature de Pita Limjaroenrat a été rejetée ce jeudi, mais il risque également une suspension pour des soupçons d’irrégularités. Pour vous permettre de tout comprendre, 20 Minutes fait le point pour vous sur cette situation politique particulièrement incertaine.
Qu’est-ce que Move Forward et qui est son leader ?
Move Forward est un parti d’opposition, né des cendres de Future Forward, qui avait fait une percée dans les urnes en 2019 avant d’être dissous. En mai, lors des élections législatives thaïlandaises, il a infligé un revers historique à l’armée. Alors que la junte était au pouvoir depuis presque une décennie, le pays a été secoué par des manifestations massives pour plus de démocratie en 2020. La colère et le désir de renouveau, notamment des jeunes générations, ont entraîné le leader de Move Forward, Pita Limjaroenrat, à la victoire.
Télégénique, divorcé, passé par Harvard, Pita Limjaroenrat incarne le changement. Aux antipodes de Prayut Chan-O-Cha (69 ans), un ancien général arrivé au pouvoir à la suite d’un putsch en 2014, affaibli par une croissance économique en berne et le recul des libertés fondamentales. Le programme de Move Forward comprend une nouvelle Constitution, pour remplacer celle en vigueur depuis 2017, jugée favorable aux intérêts de l’armée, ainsi que la fin du service militaire obligatoire pour les hommes, l’ouverture de certains marchés et la légalisation du mariage pour tous. Le mouvement est le seul à oser évoquer une réforme de la loi qui réprime durement la lèse-majesté, un tabou en Thaïlande où le roi Maha Vajiralongkorn jouit d’un statut de quasi-divinité.
Pourquoi Pita Limjaroenrat ne prend pas la tête du pays ?
Le lendemain de l’éclatante victoire de son parti – que les sondages n’avaient pas prédite – l’homme a lancé aux journalistes : « Je suis Pita Limjaroenrat, le prochain Premier ministre de la Thaïlande ». Deux mois plus tard, ses espoirs se sont envolés. Ce jeudi, les sénateurs, fidèles à l’armée, ont rejeté sa candidature, jugée trop radicale. Au total, chambre basse et haute réunies, il a obtenu 324 votes sur 705, encore loin du seuil des 375 voix qu’il devait franchir.
Plus inquiétant encore, la commission électorale thaïlandaise a recommandé mercredi la suspension du député réformiste, sous le coup d’une enquête pour irrégularités. Elle a décidé de transmettre ses conclusions à la Cour constitutionnelle.
Qu’est-il reproché à Pita Limjaroenrat et que pourrait-il se passer ?
Le leader de Move Forward est accusé d’avoir possédé durant la campagne des actions dans une chaîne de télévision, en contradiction avec la loi. Le parlementaire âgé de 42 ans risque la prison, la perte de son siège et l’inéligibilité durant vingt ans. Il se défend de toute manœuvre illégale. La Cour constitutionnelle doit désormais indiquer si elle accepte de se saisir du dossier. La puissante instance est impliquée dans plusieurs des crises cycliques qui caractérisent la vie politique thaïlandaise, entre interférences de l’armée et de la justice dans le processus démocratique, et manifestations massives, parfois violentes.
Comment réagissent Pita Limjaroenrat et son parti à cet échec ?
Sa défaite ravive le scénario de contestations importantes. Le parlement était protégé jeudi par un important dispositif de sécurité. Le réformiste a promis de « ne pas abandonner » après son échec à se faire élire Premier ministre par le parlement jeudi. Devant des journalistes, il a promis d’élaborer une nouvelle stratégie pour convaincre les sénateurs nommés par l’armée qui s’opposent à sa nomination.
Ses soutiens voyaient déjà dans la décision de la commission électorale de mercredi un nouvel obstacle dressé par les milieux conservateurs pro-armée qui désapprouvent son programme jugé trop radical. C’est un « abus de pouvoir », a dénoncé Move Forward dans un communiqué, assurant que la commission électorale n’a pas donné à Pita « la possibilité de s’expliquer ».
« Pourquoi autant de précipitation ? Je ne vois qu’une seule raison, c’est pour influencer le résultat de vote » de jeudi, a expliqué Prinya Thaewanarumitkul, professeur de droit public à l’université Thammasat de Bangkok. « Les sénateurs ont besoin d’une raison pour ne pas voter pour le candidat issu du parti vainqueur, qui dispose de plus de la moitié des sièges. Il fallait une raison pour justifier leur action et la voilà », a-t-il estimé. Raison ou pas, le candidat choisi par le peuple reste bloqué aux portes du pouvoir.