Plus de 80 ans après la mort au camp de concentration de Dachau de l’artiste et collectionneur juif Fritz Grünbaum, et sous la pression de la justice américaine, des musées et collections d’art, dont le célèbre MoMA de New York, ont restitué mercredi à ses héritiers sept œuvres d’art volées par les nazis.
Officialisée lors d’une cérémonie au parquet de Manhattan, à New York, la restitution des dessins d’Egon Schiele (1890-1918), figure de l’expressionnisme autrichien, représente une victoire importante pour les héritiers de Fritz Grünbaum, qui se battent en justice depuis des années pour recouvrer la possession de ses œuvres. « Merci de vous être placés du bon côté de l’Histoire. Ce que vous avez fait est historique », a salué l’un d’eux, le juge Timothy Reif, félicitant les autorités pour avoir « élucidé des crimes perpétrés il y a plus de 80 ans ».
Les dessins de Schiele, des aquarelles ou crayon sur papier, comme « I love Antithesis », « Femme debout », ou « Portrait d’un garçon », se trouvaient dans de prestigieuses collections, au Musée d’art moderne de New York (MoMA), à la Morgan Library de New York, au Musée d’art de Santa Barbara (Californie), dans la collection Ronald Lauder et au sein du trust Vally Sabarsky, du nom du marchand d’art Serge Sabarsky, décédé en 1996.
Cabaret !
Président du Congrès juif mondial, héritier du groupe de cosmétiques Estée Lauder et fondateur avec Serge Sabarsky de la Neue Galerie à New York, Ronald Lauder a lui-même été un défenseur de la restitution des œuvres spoliées par les nazis. Selon le parquet de Manhattan, les dessins, d’une valeur totale dépassant les 9 millions de dollars, ont été « volontairement » rendus par les institutions qui les détenaient, « une fois que des preuves de leur vol par les nazis leur avaient été présentées ».
Fritz Grünbaum était un artiste de cabaret juif autrichien, grand collectionneur d’art qui possédait plus de 80 dessins de Schiele. Ce critique du régime nazi avait été arrêté et déporté au camp de concentration de Dachau, où il est mort en 1941. La justice américaine a repris l’un des arguments clés de ses héritiers. Grünbaum avait été contraint de signer à Dachau une procuration en faveur de son épouse, Elisabeth. Elle-même avait été ensuite obligée de remettre toute la collection aux autorités nazies, avant d’être déportée et tuée au camp de concentration de Maly Trostinec, près de Minsk, dans l’actuel Bélarus.
« Ces oeuvres d’art inestimables recèlent une histoire que nous ne pouvons ignorer et racontent les réalités subies par des millions de personnes durant l’Holocauste », a déclaré lors de la cérémonie Ivan J. Arvelo, un agent spécial chargé des enquêtes de sécurité intérieure (HSI) à New York. « Fritz Grünbaum et sa femme, Elisabeth, n’ont jamais eu l’occasion de retrouver leurs objets d’art précieux avant leur mort prématurée, mais leur héritage perdurera », a-t-il ajouté.
« Sous la menace »
Les œuvres étaient réapparues sur le marché de l’art dans les années 1950, d’abord en Suisse, puis revendues sur la place new-yorkaise. Un magistrat new-yorkais avait déjà donné gain de cause en 2018 aux héritiers Grünbaum, ordonnant la restitution de deux œuvres de Schiele, en écrivant dans son jugement qu' »une signature sous la menace d’une arme à feu » ne pouvait avoir aucune valeur. Le sujet des restitutions reste d’actualité dans d’autres pays.
En France, le Parlement a adopté en juillet une loi-cadre pour faciliter la restitution par les collections publiques des biens culturels dont les Juifs furent spoliés sous l’Allemagne nazie. Selon les chiffres publiés lors d’une conférence internationale à Terezin en République tchèque en 2009, environ 100.000 œuvres sur 650.000 volées n’avaient à l’époque toujours pas été restituées.
La quête des héritiers Grünbaum n’est pas terminée. La semaine dernière, trois autres dessins d’Egon Schiele dont ils réclament la propriété ont été saisis par la justice, notamment à l’Art Institute de Chicago.