L’écrivain franco-libanais de 74 ans a été élu ce jeudi secrétaire perpétuel de l’Académie française par les « immortels ». Entré sous la coupole en 2011 au fauteuil de Claude Lévi-Strauss, le Prix Goncourt 1993 succède à Hélène Carrère d’Encausse, qui s’est éteinte cet été.
Deux prix Goncourt pour un seul poste. Donné favori, Amin Maalouf n’a pas déjoué les pronostics. Face à Jean-Christophe Rufin, l’écrivain franco-libanais a été élu, ce jeudi 28 septembre, par les « immortels » secrétaire perpétuel de l’Académie française. L’auteur de 74 ans, Prix Goncourt 1993 pour « le Rocher de Tanios », succède à Hélène Carrère d’Encausse, décédée cet été à l’âge de 94 ans.
Sa personnalité fait l’unanimité, il est très impliqué dans les activités de l’institution où il est entré en 2011. L’élection du nouveau secrétaire perpétuel aura été marquée par la candidature sur la corde de Jean-Christophe Ruffin, l’ancien diplomate de 71 ans et Prix Goncourt 2001 (« Rouge Brésil »), académicien depuis 2008. Amin Maalouf l’a emporté par vingt-quatre voix contre huit sur les 35 « immortels ».
« C’est un excellent choix, (…) un immense écrivain, un homme de fraternité, de dialogue, d’apaisement », a salué la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle aussi franco-libanaise, en arrivant sous la coupole après l’élection. Elle a souligné qu’il s’agissait d’un « magnifique symbole pour tous les francophones du monde ».
Un écrivain humaniste
Peu connu du grand public, cet écrivain humaniste est né à Beyrouth, au Liban, il y a 74 ans dans une famille d’intellectuels. Fils d’un journaliste et musicologue, il a passé sa petite enfance en Égypte avant de rejoindre sa terre natale. Ses origines cosmopolites et nomades, tant par son père que par sa mère, qui, elle, est issue d’une famille francophone et maronite, imprègnent son œuvre. Si ses premières lectures se font en arabe, « langue de lumière », c’est en français, « langue de l’ombre », qu’il s’essaie dès l’adolescence à l’écriture.
Diplômé en sociologie et en sciences économiques à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, il se lance comme son père et son grand-père dans le journalisme. Quand la guerre civile éclate en 1975, il part s’installer avec sa femme Andrée, éducatrice spécialisée, et leurs trois enfants, en France, où il devient rédacteur en chef de Jeune Afrique. Il n’abandonne pas pour autant sa passion pour la littérature.
En 1983, il signe son premier contrat avec l’éditeur Jean-Claude Lattès et publie son premier essai « Les Croisades vues par les Arabes ». Les critiques sont bonnes et il troque son costume de journaliste pour celui d’écrivain. Il rencontre son premier succès en librairie avec son roman « Léon l’Africain » paru en 1986, une biographie romancée d’Hassan el-Wazzan, commerçant, diplomate et écrivain arabo-andalou.
Du prix Goncourt à l’Académie française
En 1993, sa vie littéraire bascule avec le prix Goncourt. Il décroche le Graal avec « le Rocher de Tanios » dans lequel il revient dans les montagnes libanaises de son enfance. Une étrange légende interdit à quiconque de s’y asseoir sous peine de disparaître… Une invitation au voyage encensée par la critique et les libraires. Mais c’est sur l’Île d’Yeu, bijou au large de la Vendée, dans une petite maison de pêcheurs, qu’il prendra l’habitude trois ans plus tard, de se retirer plusieurs mois par an pour écrire.
C’est à cette période aussi qu’Amin Maalouf s’autorisera, avec « les Échelles du Levant » (1996), à aborder pour la première fois le drame de la guerre au Liban qui l’a contraint à quitter son pays. Généreux et sage observateur de notre temps, l’auteur a imprégné ses récits de ses expériences du conflit et de l’immigration. Il a écrit une petite vingtaine de livrets d’opéra, essais et romans.
C’est en juin 2011 qu’Amin Maalouf entre à l’Académie française, succédant à Claude Lévi-Strauss. Il se voit remettre son épée et son habit de drap bleu foncé ou noir, brodé de rameaux d’olivier vert et or et s’installe sur le fauteuil 29. Ironie du sort, c’est Jean-Christophe Rufin qui l’accueillera sous la coupole saluant un « homme d’une exquise politesse et qui manifeste en toute occasion beaucoup d’égards pour ceux à qui il s’adresse ». « J’ai parfois l’impression que nos rêves ont fait de nous plus que des amis. Des frères », ajoutera l’ancien diplomate.
Il y a quelques années, Amin Maalouf confiait à L’Express que son élection avait répondu à un désir d’ouverture à la francophonie. « J’assume ce rôle important, mais j’évite de m’y laisser enfermer, car je suis autant passionné par la construction européenne que par la présence de la langue française au Levant. J’essaie d’être actif à l’Académie, notamment à la commission du dictionnaire, sans m’occuper de tout. »
Secrétaire perpétuel, de lourdes tâches…
En succédant à « la tsarine » ou « la mère supérieure » comme on surnommait Hélène Carrère d’Encausse, sous la coupole, Amin Maalouf va désormais diriger et représenter l’Académie française dont le président de la République est le protecteur. Il n’y a eu que 32 personnes à ce poste depuis 1634. En tant que secrétaire perpétuel, il occupe le 24e rang de l’État et le représente dans le monde et joue un rôle prépondérant pour défendre la langue française.
Parmi les tâches qui l’attendent : achever la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie ! Un dossier cher à Hélène Carrère d’Encausse qui y a consacré beaucoup d’énergie et l’a quasiment terminé. Il faudra aussi jeter un œil averti dans les comptes de l’institution du 23, quai de Conti à Paris dans le VIe arrondissement, qui vit du produit de ses actifs financiers, de dons et legs et se trouve dans une situation financière délicate.
Enfin, de l’homme qui succède à une femme, on attend qu’il rafraîchisse un peu la prestigieuse belle endormie. Et notamment qu’il la rajeunit et la féminise ! Actuellement, on y compte 28 messieurs et… sept femmes. Même s’il y a cinq sièges à pourvoir aujourd’hui, le défi ne sera pas aisé. Même l’ancien secrétaire perpétuel (qui tenait au masculin) aimait le rappeler, « l’habit vert », à revêtir tous les jeudis, attire les retraités, très peu les actifs !