Deux des onze personnes placées en garde à vue ont été relâchées dimanche. Pour l’heure, le principal suspect, Mohammed M., « ne revendique rien et n’explique rien ».
Un suspect qui a agi « seul », avec « préméditation », mais qui « ne revendique rien et n’explique rien ». L’enquête sur l’attentat terroriste commis vendredi 13 octobre au lycée Gambetta-Carnot d’Arras (Pas-de-Calais) progresse. Neuf des onze personnes interpellées sont encore placées en garde à vue à la Sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (Sdat) et à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a appris dimanche France Télévisions de source policière. Voici ce que l’on sait, pour l’instant, de cette enquête.
Le suspect « refuse d’apporter le moindre élément » de réponse
Depuis son arrestation vendredi, Mohammed M. « ne revendique rien et n’explique rien », relève la même source policière. « Il est provocateur avec les policiers », avec des formules du type « à vous de deviner » quand on lui pose une question, et « refuse d’apporter le moindre élément ».
Les premières investigations des enquêteurs montrent « une famille encore sous la coupe du père », bien que celui-ci ait été expulsé en 2018 et se trouve désormais en Géorgie. « Il appelle souvent », relèvent les policiers, qui ajoutent que Mohammed M. « se voyait comme le chef de famille et battait sa mère ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a d’ailleurs déclaré que le suspect de l’attentat d’Arras avait « connu une garde à vue pour violences intrafamiliales », « lorsqu’il s’en (était) pris à sa maman ».
Les anciens professeurs de Mohammed M. le présentent comme un « bon élève » et il a un « bon niveau de connaissance religieuse », relève auprès de France Télévisions la même source policière. Martin Dousseau, professeur au lycée Gambetta d’Arras, qui a fait face à l’assaillant vendredi, a déclaré qu’il y avait eu, chez le jeune homme, « des signes de radicalisation qui sont arrivés, petit à petit ». L’enquête montre également que Mohammed M. « rejette toutes les valeurs de la République », signe manifeste de sa radicalisation.
Pour les enquêteurs, le jeune homme « a agi seul » et prémédité son geste en retournant frapper dans son ancien lycée, même s’ils pensent que l’enseignant tué, Dominique Bernard, « n’était pas spécifiquement la cible ». Plusieurs témoins ont par ailleurs confirmé avoir entendu le suspect crier « Allah Akbar », « à plusieurs reprises ». L’un d’eux a assuré que Mohammed M. cherchait d’abord à frapper un professeur d’histoire.
Deux gardes à vue levées
Deux des onze gardes à vue ont été levées à ce stade. Il s’agit de deux Biélorusses, qui « avaient été contrôlés la veille avec l’auteur de l’attaque et interpellés le jour de l’attentat ». Ils avaient embauché Mohammed M. comme « traducteur dans le cadre d’une négociation de contrat », selon les enquêteurs.
Parmi les personnes toujours en garde à vue figurent notamment le principal suspect, Mohammed M., ses deux frères, sa mère, sa sœur, son oncle et un détenu avec qui l’auteur présumé de l’attaque avait échangé quelques jours plus tôt.
L’entourage familial au centre des investigations
Le frère aîné du suspect, âgé de 22 ans, a été condamné à cinq ans de prison en avril pour ne pas avoir dénoncé un projet d’attaque dont il avait connaissance. Selon nos informations, il avait été interpellé à l’été 2019 par la DGSI, alors qu’il était mineur, dans le cadre de ce projet d’attentat déjoué ciblant les abords du palais de l’Elysée, les policiers en faction et des civils. Il s’agit d’un « jeune radicalisé particulièrement virulent sur les réseaux sociaux », selon les magistrats antiterroristes. Il est encore incarcéré à ce jour et a été extrait de sa cellule de la prison de la Santé pour répondre aux questions des enquêteurs.
Le petit frère de l’assaillant, arrêté en même temps que lui, « est aussi très radicalisé », précise la même source policière à France Télévisions. Il a été interpellé devant son établissement scolaire, alors qu’il était à vélo. Les enquêteurs l’ont placé en garde à vue afin de s’assurer qu' »il n’était pas au courant de quelque chose ».
Un père fiché S expulsé en 2018
Mohammed M., 20 ans, est né en Ingouchie, une République de la Fédération de Russie voisine de la Tchétchénie et à majorité musulmane. Il est arrivé en France en 2008, à l’âge de 5 ans, avec ses parents et ses quatre frères et sœurs. Sa famille s’est installée d’abord près de Rennes (Ille-et-Vilaine), où les enfants étaient scolarisés. La famille a ensuite fait l’objet d’une procédure d’expulsion collective vers Moscou début 2014. Mais des associations se sont mobilisées face à cette décision et la préfecture a fait marche arrière, la procédure d’expulsion ne respectant pas le cadre d’une circulaire.
Quand Mohammed M. est arrivé à Arras en 2015, il avait 12 ans. Son père, fiché S, « était tenant d’un islam radical », a expliqué samedi le ministre de l’Intérieur. Il a été expulsé en 2018, avait précisé Gérald Darmanin dès vendredi soir. Jusqu’à sa majorité, l’assaillant a donc vécu sur le territoire français de façon légale. Car en France, aucun mineur ne peut faire l’objet d’une expulsion. A 18 ans, en 2021, le jeune homme a fait une demande d’asile, afin de régulariser sa situation. Mais l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ainsi que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), lui ont refusée, comme le confirme une source policière à Quotidien Libre, sans préciser les raisons de cette fin de non-recevoir.
Le suspect était sous surveillance depuis cet été
Mohammed M. n’avait aucun casier judiciaire, mais était suivi par la DGSI « depuis la fin du mois de juillet », selon Gérald Darmanin, grâce à des écoutes et des mesures de surveillance physique. Cette surveillance a été mise en place « parce qu’il y a eu des liens » entre lui et son frère détenu, a expliqué samedi le ministre de l’Intérieur.
Il avait été contrôlé jeudi, veille de l’attentat, sans qu’aucune infraction ne soit retenue à son encontre. Ce contrôle était destiné à vérifier « s’il n’avait pas des armes sur lui, mais aussi pour procéder à des techniques de renseignement plus intrusives et notamment accéder à son téléphone et aux messageries cryptées de son téléphone », selon le ministre de l’Intérieur.
Selon une source sécuritaire à France Télévisions, ses conversations téléphoniques n’avaient pas laissé craindre de passage à l’acte imminent. Il n’y a « pas eu de faille des services de renseignement », a assuré Gérald Darmanin. « Rien dans les éléments qu’on avait pu obtenir ne permettait de prédire que cet individu (…) pouvait passer à l’acte », a renchéri dimanche la Première ministre, Elisabeth Borne, dans La Tribune Dimanche. « Que pouvait-on faire de plus en l’occurrence ? Est-ce que ce qui est imprévisible doit être prévu ? », a lancé dimanche sur France Inter le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti.