En pleine guerre, l’Ukraine hésite à préparer une élection présidentielle en mars prochain. Elle doit mobiliser tous ses efforts diplomatiques auprès des Etats-Unis, dont elle attend une aide cruciale, et de l’Union européenne, qu’elle souhaite rejoindre.
Alors que l’Ukraine continue de subir les attaques soutenues de drones et de missiles russes, la tenue d’une élection présidentielle, prévue en mars 2024, semble de plus en plus difficile à organiser. Le président Volodymyr Zelensky s’y était dit favorable il y a quelques semaines.
Interrogé lors de la World Policy Conference, organisée par l’Institut français de relations internationales (Ifri) à Abu Dhabi, aux Emirats arabes unis, Dmytro Kubela, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, a expliqué en visioconférence les « énormes difficultés » que représente la mise en place du scrutin. Il faudrait notamment changer la législation, la loi martiale, en cours depuis l’invasion russe, interdisant toute élection.
Avec une population partie en exil depuis le début de l’invasion russe, 5 à 6 millions d’Ukrainiens – surtout des femmes et des enfants – sont maintenant partiellement ou complètement domiciliés à l’étranger. Il faudrait installer des centaines de milliers de bureaux de vote en Europe, et les pays étrangers ne sauraient accepter des bureaux hors des consulats ou ambassades. Ensuite, « comment éviter que ces bureaux ne deviennent des cibles pour les drones russes ? » observe Dmytro Kubela. Autres difficultés : faire voter les Ukrainiens encore localisés dans le Donbass, en plein cœur du champ de bataille, ou encore les soldats, dans les tranchées. Rien n’est décidé : « nous réfléchissons à la tenue de ces élections », commente le ministre des Affaires étrangères. « Nous sommes une démocratie et nous voulons nous développer en tant que telle, mais vous devez comprendre les énormes difficultés que cela pose », poursuit-il.
L’urgence est pour l’instant ailleurs
Il s’agit de « persuader le Congrès américain, qui doit allouer des fonds, de continuer à soutenir l’Ukraine », explique Dmytro Kubela. Un impératif, avant la tenue de l’élection présidentielle américaine en novembre prochain. L’administration Biden propose un « package » de 92 milliards de dollars pour soutenir ses alliés. Il y aurait 61,4 milliards dévolus à l’Ukraine – dont 30 milliards d’équipements et 14,4 milliards pour le renseignement et le soutien militaire par le biais du département de la défense.
Des fonds sont aussi destinés à Israël (14,3 milliards de dollars) et à Taïwan (7,4 milliards). Mais le nouveau « speaker » de la Chambre des représentants, Mike Johnson, propose de découpler l’aide à l’Ukraine et à Israël, et lie la première à des économies sur l’administration fiscale. Un autre enjeu mobilise les diplomates ukrainiens : l’élargissement de l’Union européenne à leur pays. « Nous sommes tous européens », plaide Dmytro Kubela. « La sécurité et la prospérité de l’Union dépendent de l’issue de la guerre en Ukraine et de son entrée dans l’UE », assure-t-il.
Le sujet sera abordé à Bruxelles la semaine prochaine. Samedi, en visite préalable en Ukraine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a distribué les bons points. « Vous avez franchi de nombreuses étapes […]. Vous avez réformé votre système judiciaire. Vous avez réduit le pouvoir des oligarques. Vous vous êtes attaqués au blanchiment d’argent et à bien d’autres choses encore », a-t-elle félicité le président Volodymyr Zelensky, se disant « confiante » que l’Ukraine progresserait dans le processus d’adhésion à l’UE.
L’Otan attendra
Une entrée dans l’Otan, également désirée, se fera « quand les conditions de sécurité le permettront. Pendant une phase active de conflit, ce n’est pas possible », explique Dmytro Kubela.
Kiev se refuse toujours à l’ouverture de négociations avec la Russie. « Entre 2014, avec l’annexion de Crimée, et février 2022, il y a eu 200 rounds de négociations, avec la France et l’Allemagne en médiateurs et avec le soutien des Etats-Unis. Vingt-six cessez-le-feu ont été annoncés. Tous ont été violés par la Russie. »
L’Ukraine refuse une paix qui se ferait au prix de l’intégrité territoriale ou de la souveraineté du pays. Selon un récent sondage, 73 % des Ukrainiens refusent toute concession territoriale et 58 % sont prêts à endurer la guerre le temps qu’il faudra.