Alors que le cadeau de seconde main était encore considéré il y a quelques années comme un signe de « radinerie », la pratique séduit de plus en plus les Français – notamment parmi les plus jeunes.
Quelques semaines avant Noël, des centaines de jouets nettoyés, désinfectés et reconditionnés quittent les mains expertes des salariés de Kidibam pour commencer une seconde vie, sous le sapin d’une nouvelle famille. Créée il y a un an, cette entreprise spécialisée dans la collecte et la revente de jouets d’occasion assure avoir déjà remis sur le marché « plus de 10 000 produits », récoltés dans toute la France, puis revendus – souvent moitié moins cher – sur son site Internet.
Selon François Truong, cofondateur de Kidibam, le phénomène prend de l’ampleur : chaque semaine, plus de 1 000 jouets sont envoyés par des parents qui souhaitent se débarrasser de ces encombrantes boîtes, tandis que, de l’autre côté de la chaîne, certaines familles achètent jusqu’à 10 produits d’un coup.
« Avec l’inflation, la majorité de nos clients avancent l’argument du pouvoir d’achat : grâce à la seconde main, ils peuvent offrir plus de cadeaux, souvent d’une meilleure qualité, pour un coût moindre », explique ce Parisien. La question écologique aurait également son importance. « Quoi de plus polluant qu’une montagne de jouets en plastique qui ne servent que quelques mois ? A travers l’occasion, les familles souhaitent également consommer mieux et éduquer leurs enfants à ce nouveau principe », complète-t-il.
Encore totalement tabou il y a quelques années, le cadeau de seconde main semble s’installer durablement dans les habitudes des Français. Selon une étude publiée le 7 décembre dernier par l’Ifop et le site de revente en ligne Le Bon Coin, 43 % des personnes interrogées ont ainsi déjà offert des cadeaux de seconde main. Parmi elles, près d’un quart a sauté le pas durant l’année écoulée. Du côté des destinataires, 42 % des sondés ont également reçu des présents d’occasion – un chiffre qui monte à 60 % chez les 18-24 ans.
Signe supplémentaire d’une pratique émergente, la proportion de personnes ayant déjà offert ou reçu un cadeau de seconde main est nettement plus élevée parmi les jeunes générations que dans le public plus âgé : 62 % des 18-24 ans et 55 % des 25-49 ans ont ainsi déjà offert de l’occasion, contre 35 % des 50-64 ans. Le chiffre chute considérablement parmi les 65 ans et plus, dont seuls 24 % ont déjà accepté d’offrir des cadeaux non neufs. Les mêmes écarts générationnels sont observés pour les destinataires de ces produits : seuls 26 % des 65 ans et plus se sont déjà vu offrir de l’occasion, contre plus de la moitié des 25-35 ans, par exemple.
« Mais ça progresse : je vois de plus en plus de parents acheter des vêtements vintage pour leurs enfants, par exemple. Cela permet de créer du lien, de s’adapter à leur nouvelle manière de consommer », commente Marine Thyrault, cofondatrice et directrice générale du magasin bordelais Concrete Raw, qui propose à la vente des produits écoconçus et de seconde main.
« Economie de la débrouille »
Si la tendance touche toutes les classes sociales et tous les âges, les publics les plus modestes restent néanmoins, selon l’étude de l’Ifop, les plus susceptibles d’offrir un cadeau de seconde main à leurs proches. Pas moins de 56 % des personnes disposant d’un revenu mensuel de moins de 900 euros, et 47 % des personnes dont le salaire mensuel est situé entre 900 et 1 300 euros ont ainsi déjà offert de l’occasion, contre 37 % des catégories les plus aisées (dont le revenu mensuel s’élève à 2 500 euros ou plus). « Dans les milieux [plus modestes], le cadeau de seconde main fait partie des comportements rentrant dans ce que nous avons appelé avec Jean-Laurent Cassely ‘l’économie de la débrouille’, attitudes visant à essayer d’optimiser un budget contraint et de ‘dépenser malin’, pratiques qui se sont davantage développées avec le retour de l’inflation », note Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégie d’entreprise de l’Ifop.
La question du coût fait effectivement partie des premières raisons évoquées par les Français au sujet de leur intérêt pour les cadeaux d’occasion : 52 % déclarent ainsi en avoir offert puisqu’ils étaient « moins chers ». « Quand on voit le prix des jouets de grandes marques, on comprend que certains parents ne puissent pas les offrir à leurs enfants. La seconde main leur permet d’accéder à ces marques », commente François Truong, qui garantit une certaine qualité dans ses produits d’occasion. « On emballe par exemple les Playmobil dans des pochons en coton recyclé, on s’assure que toutes les pièces d’un puzzle sont réunies, il faut que cela reste attrayant », explique-t-il.
Au-delà de l’argument économique, 40 % des personnes ayant déjà offert un cadeau d’occasion admettent l’avoir fait pour des raisons écologiques, afin notamment de lutter contre la surconsommation. Cette dimension éthique est plus largement partagée chez les plus diplômés (47 % pour les titulaires d’un diplôme supérieur à bac + 2, contre 29 % pour les moins diplômés). Surtout, l’image véhiculée par l’occasion a changé : 84 % des sondés indiquent être transparents sur l’origine des cadeaux qu’ils ont offerts, et seuls 21 % des Français estiment avoir ressenti « de la gêne ou de la honte » à offrir un cadeau de seconde main.
Plus globalement, 85 % des personnes interrogées estiment que ces cadeaux peuvent être « d’aussi bonne qualité que les cadeaux neufs », et 48 %, que ces derniers ont souvent « plus de caractère et de charme que les articles neufs ». « Il y a une vraie tendance positive autour de l’occasion, sur des baskets, des meubles, de la déco… Les jeunes, notamment, sont très attachés au côté symbolique du cadeau, et apprécient d’offrir de beaux objets vintage, avec des techniques de fabrication et des matières bien plus propres et qualitatives que les produits les plus modernes », analyse Marine Thyrault. Pour Noël 2023, 38 % des Français confient ainsi à l’Ifop être prêts à acheter des cadeaux d’occasion.
A noter que, si l’idée de la seconde main est désormais largement acceptée par les Français pour les fêtes de fin d’année ou les anniversaires (58 % s’y déclarent favorables), la pratique n’est pas encore tout à fait rentrée dans les mœurs pour les cadeaux de mariage – pas moins de 66 % des sondés se disent choqués par le principe d’offrir de l’occasion lors d’une union.