Il y a des départs qui, au-delà des adieux, laissent un parfum d’ambiguïté. Celui de Bruno Le Maire en fait partie. Après sept ans à jongler entre chiffres, crises et plans de relance, l’ancien ministre de l’Économie s’éloigne de Bercy pour… Lausanne. Oui, la Suisse. Le pays des banques, des montagnes, et désormais de Bruno Le Maire, professeur en devenir. Mais alors, que cache cet exil doré ? Voici une analyse d’un choix qui intrigue.
Je vous dis à bientôt », lance-t-il dans sa vidéo d’adieux aux Français, publiée sur X (ex-Twitter). Pourtant, l’exil de Bruno Le Maire ressemble à tout sauf à un adieu. Non, c’est plutôt une retraite stratégique, loin des projecteurs, au cœur d’une petite démocratie tranquille qui a pour habitude d’offrir aux politiques fatigués un refuge temporaire. Mais ne nous y trompons pas : Lausanne n’est pas la fin du chemin pour cet homme qui, entre les lignes de ses discours, laisse toujours transparaître une ambition présidentielle débordante.
C’est à l’Enterprise for Society Center (E4S), à Lausanne, qu’il est pressenti pour dispenser ses leçons. On peut difficilement imaginer meilleure transition pour celui qui aura vu défiler les crises économiques comme d’autres feuillettent un manuel de gestion de crise. Enseigner à de futurs dirigeants, inspirer la prochaine génération de décideurs, tout en prenant de la distance avec la cacophonie parisienne : le cadre suisse est presque parfait pour cette reconversion soignée. Pourtant, il y a quelque chose de profondément ironique à voir un ex-ministre de l’Économie s’installer dans ce pays, célèbre pour sa fiscalité avantageuse et son calme politique.
Bruno Le Maire n’a jamais caché son goût pour l’enseignement. Avant d’être l’homme des réformes et des plans d’austérité, il était professeur de français. On imagine bien qu’après sept ans de nuits blanches à Bercy, le retour au monde académique doit avoir des airs de cocon douillet. Cependant, il est difficile de croire que cet exil suisse soit une retraite définitive. Les mots qu’il choisit sont soigneusement pesés. Il « s’en va », mais pas trop loin. Il « enseigne », mais reste dans la sphère publique. Ce n’est pas tant un adieu qu’une pause.
À tous les agents de Bercy qui font la force et qui sont l'âme de cette grande maison, un seul mot : MERCI ! 🇫🇷❤️ pic.twitter.com/QVweMgGUEU
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) September 12, 2024
« Mes plus grands combats politiques sont devant moi », déclarait-il en juin dernier. Il n’y a là ni ambiguïté, ni fausse modestie. Bruno Le Maire rêve toujours de l’Élysée, et cet éloignement de la scène politique française n’est peut-être qu’une manœuvre calculée. Après tout, à la manière d’un Emmanuel Macron se ressourçant à la banque Rothschild ou d’un François Hollande se réinventant dans les coulisses d’un Parti Socialiste asthmatique, la distance pourrait bien être une stratégie pour revenir en force en 2027, lavé des querelles intestines et des échecs quotidiens du pouvoir.
La question qui se pose alors est simple : que cherche vraiment Bruno Le Maire en s’envolant pour Lausanne ? Est-ce simplement l’envie de transmettre, de partager son expérience avec de jeunes esprits avides de savoir ? Ou s’agit-il d’un moyen de rester pertinent, tout en esquivant les critiques faciles du quotidien politique ?
À l’E4S, Bruno Le Maire sera entouré d’universitaires de haut vol, de penseurs de l’économie mondiale. Il est fort probable que ses conférences ne se limiteront pas à la simple gestion de la dette ou à l’analyse du budget de la zone euro. Non, cet espace intellectuel pourrait bien devenir un redoutable laboratoire d’idées, son incubateur pour les politiques de demain. Après tout, il a toujours été perçu comme un homme à la vision plus large, capable d’articuler des idées complexes avec une certaine clarté. Et cette pause académique pourrait bien l’aider à mûrir son projet présidentiel.
Inoubliable. 🫶🇫🇷 pic.twitter.com/H9zJMZMoVf
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) September 12, 2024
Mais au-delà des ambitions personnelles, ce départ pose une question plus large : pourquoi tant d’hommes politiques français semblent-ils avoir besoin de s’exiler, même temporairement, pour se réinventer ? La réponse réside peut-être dans la nature même du système politique français, qui épuise ses acteurs, les use jusqu’à la corde, avant de les jeter aux oubliettes. Partir, c’est aussi se protéger, préserver un capital politique pour mieux le faire fructifier.
Bruno Le Maire l’a bien compris. La Suisse, avec son cadre apaisé, loin des tumultes de la vie politique française, offre une bouffée d’air frais. Mais il ne s’agit pas simplement de respirer ; il s’agit de prendre du recul pour mieux sauter. Les ambitions présidentielles ne se nourrissent pas des querelles quotidiennes, elles se construisent sur la durée, à l’abri des coups de boutoir médiatiques.
Alors oui, Bruno Le Maire s’en va, mais ce n’est qu’une étape. Lausanne n’est qu’une halte dans une carrière politique plus vaste, plus longue. L’exil doré du professeur n’est que le prélude à une nouvelle bataille.