Le 23 septembre dernier, trois géants de la distribution française – Intermarché, Auchan et Casino – ont officialisé une alliance qui, sur le papier, pourrait sembler anodine. Baptisée « Aura Retail », cette union promet de renforcer les partenariats avec les agriculteurs et industriels français. Mais derrière ce discours flatteur se cache une réalité beaucoup moins reluisante.
À une époque où l’inflation fait grimper les prix dans tous les secteurs, où l’on parle sans cesse de soutenir l’agriculture locale et de protéger les filières courtes, « Aura Retail » choisit de regarder au-delà des frontières françaises. Bruxelles pour les denrées alimentaires, Luxembourg pour les produits non-alimentaires. Le signal envoyé est clair. La France ne sera plus au cœur des priorités. Pourquoi se soumettre aux contraintes des lois françaises, telles que les règlements EGAlim, quand il est possible de négocier à moindre coût avec des groupes étrangers tout en évitant la lourdeur administrative française ?
Dans cette stratégie, tout est calculé. Intermarché, Auchan et Casino sont bien conscients que pour lutter contre l’hégémonie de Leclerc, qui continue de gagner des parts de marché année après année, il faut frapper fort. Très fort. Mais dans cette guerre des prix, qui sera le vrai perdant ?
L’union « Aura Retail » pourrait bien nous faire oublier une leçon pourtant simple. Ce qui coûte moins cher se paie souvent ailleurs. Les consommateurs pourraient applaudir des deux mains des prix plus bas sur leurs produits du quotidien. Mais ces réductions de coûts ne sont jamais sans conséquences. Derrière chaque centime économisé, il y a un agriculteur français qui peine à maintenir son exploitation, une coopérative locale qui disparaît, ou encore une filière de production qui s’effondre face à la concurrence internationale.
En se concentrant sur des grosses marges obtenues grâce à des achats massifs à l’étranger, les grands distributeurs abandonnent l’idée de promouvoir des produits français de qualité. Alors que la demande pour des produits locaux et traçables explose, cette stratégie risque de nous faire basculer dans l’exact opposé. Moins de produits locaux, plus de produits importés et standardisés.
Il est difficile de ne pas voir dans cette initiative une attaque frontale contre la souveraineté alimentaire française. Le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-François Loiseau, l’a d’ailleurs souligné :
« Le prix le plus bas » est devenu l’unique objectif de ces distributeurs. Peu importe les conséquences pour l’agriculture locale. Peu importe que cette politique sacrifie sur l’autel du profit les petits producteurs, incapables de s’aligner sur ces standards internationaux.
Mais dans cette course effrénée vers des prix toujours plus bas, que devient le rôle du consommateur ? On pourrait croire que tout le monde y gagne. Des prix bas pour le client, des marges confortables pour les distributeurs. Mais cela n’est qu’une illusion. À terme, c’est tout un système qui s’effondre. Le lien entre le consommateur et le producteur local se rompt, au profit de relations dépersonnalisées avec des groupes industriels géants, souvent implantés à l’étranger.
Si cette union entre trois géants de la distribution pourrait à première vue semble inévitable dans un contexte de concurrence acharnée, elle reste une stratégie à haut risque. Non seulement pour les producteurs locaux, mais aussi pour l’image même de ces enseignes. En voulant maximiser leurs marges, Intermarché, Auchan et Casino prennent le risque de s’aliéner une partie de leur clientèle, de plus en plus soucieuse de l’origine des produits et de leur impact écologique.
De plus, la stratégie à long terme est floue. Certes, les prix pourraient baisser dans un premier temps. Mais que se passera-t-il lorsque les producteurs locaux auront disparu ? Les consommateurs français se retrouveront prisonniers d’un marché dominé par des multinationales étrangères, sans possibilité de retour en arrière.
Avec « Aura Retail », c’est tout l’avenir de la distribution alimentaire qui est en jeu. En choisissant de privilégier les circuits d’approvisionnement étrangers au détriment des producteurs français, Intermarché, Auchan et Casino parient sur le court terme. Mais à quel prix ? Celui de la qualité, celui de la souveraineté alimentaire, et peut-être même celui de la confiance des consommateurs.