3 %. Ce chiffre, anodin en apparence, est devenu une véritable boussole pour les politiques budgétaires des États européens. Depuis des décennies, il gouverne les décisions économiques, les choix sociaux et, souvent, les destins électoraux. Ce fameux seuil d’endettement public, que les pays membres de l’Union européenne ne doivent pas dépasser sous peine de sanctions, semble gravé dans le marbre. Mais pourquoi 3 % ? Pourquoi ce chiffre et pourquoi une telle obsession pour le rapport au PIB ? Voici quelques éléments de réponse.
Beaucoup l’ignorent, mais cette règle des 3 % n’est pas le fruit d’une analyse rigoureuse des économistes ni d’une découverte éclairante sur la gestion des finances publiques. Elle est en réalité née en France, dans les années 1980, à une époque où François Mitterrand, sous pression pour gérer la dette croissante, devait trouver un compromis entre rigueur budgétaire et financement des besoins de l’État. Un haut fonctionnaire, à l’époque, aurait proposé ce seuil, sans fondement scientifique particulier, comme une limite facile à comprendre et à appliquer.
Ce qui était initialement une astuce politique pour tempérer les ardeurs des ministres réclamant des budgets plus importants est devenu, avec le temps, un dogme économique repris par l’Europe entière. Le Traité de Maastricht, signé en 1992, a scellé cette règle, en la plaçant au cœur des critères de convergence, ceux-là mêmes qui permettent aux États d’intégrer l’Union économique et monétaire. Et depuis, le chiffre est resté, presque sacré, peu importe la situation économique des pays ou les crises qui les frappent.
Pour comprendre pourquoi on lie ce chiffre au Produit Intérieur Brut (PIB), il faut se rappeler que le PIB est censé mesurer la richesse créée par un pays en un an. Le rapport entre la dette et le PIB est alors censé indiquer si un pays vit au-dessus de ses moyens. Mais le PIB est-il vraiment le meilleur indicateur pour cela ?
Le PIB ne mesure pas la qualité de vie, le bien-être des citoyens, ni même la capacité de l’État à répondre à leurs besoins. Il ne dit rien non plus de la manière dont la richesse est répartie. L’Italie, par exemple, peut avoir un PIB élevé, mais une dette qui reste hors de contrôle, ce qui n’empêche pas le pays de survivre dans ce cadre étroit. À l’inverse, des pays avec un déficit faible peuvent se trouver en grande difficulté si la croissance ne suit pas. La rigidité de ce 3 % apparaît alors de plus en plus décalée par rapport à la complexité des réalités économiques contemporaines.
Fabriquer ou emprunter : le choix impossible
Lorsqu’un État veut financer ses politiques, il a deux options. La première, longtemps privilégiée, consiste à « fabriquer » de l’argent en empruntant à sa propre banque centrale, c’est-à-dire à lui-même. Cela permet une grande liberté d’action, à condition de ne pas abuser de la planche à billets pour éviter l’inflation galopante.
La seconde option, devenue la norme aujourd’hui, consiste à emprunter auprès des marchés financiers. Ce système, en apparence plus rationnel, enferme l’État dans un cercle vicieux. Pour attirer les prêteurs privés, il faut offrir des taux d’intérêt attractifs. Mais ces mêmes prêteurs, les fameux « investisseurs », sont toujours à l’affût des signes de faiblesse. Une dette trop élevée peut entraîner une hausse des taux, et donc un coût d’emprunt encore plus lourd. Les États se retrouvent ainsi captifs de ces créanciers, dépendants de leur confiance.
Une dette pour qui ?
Le problème fondamental est que cette règle des 3 % ne sert pas à protéger les citoyens, mais à rassurer les prêteurs. Ces derniers ne se soucient pas de savoir si l’État assure une éducation de qualité, garantit des hôpitaux performants, ou veille à ce que personne ne dorme dans la rue. Ce qui les intéresse, c’est la stabilité financière, la rentabilité de leurs placements, et la certitude que l’État remboursera à temps.
Pour les gouvernants, ce système génère une pression immense. S’ils tentent de réduire les dépenses publiques en coupant dans les services sociaux ou en réduisant les aides aux plus démunis, ils risquent de provoquer des tensions sociales. Mais s’ils tentent de s’attaquer aux intérêts des grandes fortunes ou des entreprises, souvent leurs alliés politiques et financiers, ils se mettent en danger eux-mêmes.
Vers une remise en cause nécessaire
Aujourd’hui, il est de plus en plus clair que cette règle des 3 % est à repenser. Elle empêche les États d’investir dans l’avenir, de répondre aux crises économiques, sociales et climatiques qui se multiplient. L’idée que la dette publique serait nécessairement mauvaise est une vision dépassée. Il est temps d’admettre que certains investissements, même financés par la dette, peuvent être bénéfiques à long terme.
Les États doivent retrouver leur souveraineté budgétaire, sortir de cette dépendance vis-à-vis des marchés financiers, et redonner du sens à l’usage de la dette publique. Oui, la dette doit être maîtrisée, mais pas au prix de l’abandon des services publics ou de la paupérisation des classes moyennes et populaires.