Alors que l’on parle fréquemment de surpopulation, une autre réalité s’impose doucement : la dénatalité. L’Institut national des études démographiques (INED), dans sa revue Population & Sociétés, vient de publier les chiffres de la population mondiale pour la mi-2024, et ils révèlent une évolution surprenante. Le seuil des 10 milliards d’habitants, autrefois prévu pour 2050, pourrait bien ne jamais être atteint. Une révision qui jette une lumière crue sur la crise de la natalité à travers le globe.
Jusqu’à récemment, il semblait évident que la planète dépasserait allègrement les 10 milliards d’êtres humains, avec des implications souvent alarmistes sur l’épuisement des ressources naturelles. Mais voilà que le discours change. Ce n’est plus la surpopulation qui inquiète, mais le déclin démographique dans plusieurs régions du monde. Les pays les plus développés voient leur taux de natalité chuter sous le seuil de renouvellement des générations. La France, longtemps championne en Europe avec son taux de fécondité enviable, est passée à 1,6 enfant par femme. La Corée du Sud, elle, est descendue à 0,9 enfant par femme, un chiffre vertigineux qui illustre bien l’ampleur du problème.
Pendant ce temps, l’Afrique subsaharienne reste l’exception avec une natalité encore robuste. Mais cette vitalité démographique dans certaines régions du globe ne suffira pas à inverser la tendance mondiale. Ce n’est plus une question de croissance incontrôlée, mais de stagnation, voire de déclin dans certaines zones.
L’Europe, l’Amérique du Nord, et l’Asie de l’Est composent aujourd’hui ce que l’on pourrait appeler le « vieux monde ». Ces régions, autrefois en tête de la révolution démographique, peinent désormais à trouver leur équilibre. L’espérance de vie y est plus longue que jamais, mais les populations vieillissent sans pouvoir se renouveler. Cette inversion de la pyramide des âges entraînera des conséquences considérables. Non seulement sur les systèmes de retraites et de santé, mais aussi sur les équilibres sociaux et économiques.
Les jeunes générations, moins nombreuses, porteront le poids de cette société vieillissante. Moins de bras pour travailler, moins d’esprits pour innover, et plus de bouches à nourrir. Cette situation ne peut que s’aggraver si rien n’est fait. Pour le Japon, l’un des pays les plus touchés par ce phénomène, les chiffres sont particulièrement inquiétants. Avec 12 décès pour 1 000 habitants, contre 8 pour 1 000 au Burkina Faso, le Japon, en dépit de sa modernité et de sa richesse, peine à imaginer son avenir démographique.
Pourquoi ne fait-on plus d’enfants ?
Le grand mystère de notre époque reste à comprendre pourquoi, dans des sociétés où l’accès aux soins et à l’éducation est au plus haut, l’envie d’enfanter s’estompe. Les raisons semblent évidentes à première vue. La vie urbaine, la carrière des femmes, l’allongement des études, l’instabilité économique ou encore le coût élevé de l’éducation. Mais ce tableau est trop simpliste. Derrière ces explications se cache un changement culturel où l’individu prime désormais sur la famille.
Autrefois, fonder une famille était une étape naturelle de la vie. Aujourd’hui, cela relève presque du choix marginal. Ce renoncement à la parentalité semble symptomatique d’un désenchantement du monde. Dans des sociétés où le confort matériel et l’accomplissement personnel sont devenus les maîtres-mots, l’idée même de transmettre la vie devient accessoire, voire secondaire. Cette mutation des valeurs interpelle. Quelle vision de l’avenir partageons-nous pour que la famille soit ainsi reléguée au second plan ?
Vers un monde vieillissant et vide ?
Si cette tendance se poursuit, le futur pourrait bien ressembler à une société grisonnante. Ce vieillissement global n’est pas seulement un problème pour les pays développés. Même des nations émergentes comme le Brésil ou l’Inde, qui ont longtemps affiché des taux de natalité élevés, connaissent aujourd’hui une baisse inquiétante. En Inde, le taux est désormais de 2 enfants par femme, juste assez pour renouveler la population, tandis que le Brésil stagne à 1,6.
Les solutions pour inverser la tendance ne sont ni simples ni évidentes. Politiques natalistes, aides financières, meilleure conciliation travail-famille… Aucune de ces mesures n’a réellement permis d’enrayer la chute. Car au fond, la question dépasse largement le cadre des politiques publiques. Elle touche à la manière dont nous envisageons la vie, la famille, et même la société de demain.
La tentation de la science
Si l’humain ne parvient plus à assurer son propre renouvellement, une question éthique se pose. Jusqu’où irions-nous pour préserver notre espèce ? Les progrès de la biomédecine pourraient bien, dans un avenir proche, tenter de pallier cette crise démographique. Mais quel en serait le prix ? La science seule peut-elle compenser un vide générationnel ? Ces interrogations, inquiétantes, renvoient à la manière dont nous, en tant que société, percevons la vie elle-même.
En définitive, la démographie mondiale n’est plus une équation à résoudre. Elle est devenue un reflet des angoisses et des contradictions de notre temps. Si l’homme moderne aspire à l’épanouissement individuel, il semble avoir oublié que l’humanité, elle, ne se perpétue que par la transmission. À moins d’un changement radical, le « vieux monde » pourrait bien devenir non seulement vieux, mais surtout vide.