La Belgique est-elle prête à basculer vers une surveillance bancaire généralisée au nom de la lutte contre la fraude fiscale ? Face à un déficit budgétaire de 16 milliards d’euros, la proposition de Bart de Wever, figure de proue des conservateurs flamands (N-VA), fait trembler les défenseurs de la vie privée et suscite des inquiétudes bien au-delà des frontières belges.
À première vue, l’objectif semble noble. Récupérer une partie des 8 à 12 milliards d’euros perdus chaque année à cause de la fraude fiscale. Après tout, pourquoi ne pas faire appel à l’intelligence artificielle pour traquer ceux qui contournent les règles ? Mais la réalité est plus complexe et les enjeux bien plus profonds. Car derrière ce projet se cache une question fondamentale : jusqu’où l’État peut-il aller pour renflouer ses caisses ?
La Belgique n’en est pas à son premier pas vers la centralisation des données bancaires. Depuis 2022, les banques sont tenues de transmettre le solde des comptes de leurs clients au Point de contact central (PCC) de la Banque nationale. Une mesure qui, bien qu’utile en cas d’enquête fiscale, était jusqu’ici encadrée par des restrictions. Le fisc n’y a accès qu’en cas de soupçon ou de non-coopération du contribuable.
Or, Bart de Wever souhaite rompre avec cette prudence. Avec son logiciel, il envisage de passer d’une surveillance ciblée à une surveillance permanente, une sorte de contrôle fiscal 2.0, automatisé et surtout invisible. Le fisc ne se contenterait plus d’intervenir sur des éléments suspects déclarés, mais scruterait les mouvements de tous les comptes pour y repérer d’éventuelles irrégularités. Si cette idée se concrétise, elle pourrait inspirer d’autres pays européens confrontés aux mêmes défis fiscaux, une perspective qui n’est pas sans rappeler certains épisodes de surveillance massive que l’on croyait réservés à la fiction.
Le prix de l’efficacité fiscale : liberté contre sécurité ?
Les partisans de la mesure estiment qu’il est temps de s’attaquer à la fraude fiscale de manière plus radicale. Pour eux, la collecte de ces informations n’est qu’une étape supplémentaire, qui ne touche que ceux qui ont quelque chose à cacher. En d’autres termes, pour éviter les fraudes, il faudrait accepter de renoncer à une part de notre anonymat bancaire. « Ce logiciel ne cible que des flux suspects », argumente De Wever. Une promesse de « neutralité » qui reste toutefois difficile à croire pour les défenseurs des droits individuels.
La mesure pose en effet des questions de fond. Qu’adviendra-t-il de ces données ? Qui garantira que ces informations ne seront pas détournées, voire utilisées à des fins plus larges que la simple lutte antifraude ? En ouvrant la porte à une surveillance de masse, on s’expose à des dérives qui risquent de dénaturer les valeurs fondamentales d’une démocratie.
La lutte antifraude à quel prix ?
Dans un monde où l’intelligence artificielle et les algorithmes prennent un rôle de plus en plus actif, la Belgique se trouve à la croisée des chemins. Ce projet de logiciel est peut-être un test de la capacité d’un État à résister à la tentation de la surveillance permanente. En choisissant la voie de la transparence fiscale absolue, la Belgique pourrait bien enclencher un débat sur la frontière entre sécurité et liberté, un débat qui pourrait inspirer de nouvelles législations, plus strictes ou plus intrusives.
Pour l’heure, ce projet est loin d’être adopté. Les critiques fusent, les experts s’alarment, et les citoyens scrutent avec inquiétude les prochaines décisions du Parlement. Car si la lutte contre la fraude fiscale est une cause légitime, elle ne doit pas faire oublier que la liberté individuelle reste un bien précieux, difficilement récupérable une fois sacrifié sur l’autel de la sécurité économique.