Il y a des politiciens qui, en accédant au pouvoir, perdent le sens des proportions. Et puis, il y a Emmanuel Macron, qui semble avoir poussé l’art du narcissisme à un niveau quasiment mystique, au point que l’Élysée pourrait bien s’équiper de miroirs de sol pour refléter toute la grandeur qu’il se prête. Sur les traces de François Mitterrand — autre président autoproclamé « Dieu vivant » — « Jupiter 1ᵉʳ » joue au monarque contemporain avec une touche de divinité moderne qui n’a rien à envier aux grands despotes de la République.
La chance fait parfois bien les choses. Emmanuel Macron a choisi, pour sa dernière escapade marocaine, un cortège de 122 personnalités aux frais du contribuable. Hasard du calendrier ou clin d’œil cosmique, cette virée de haut standing tombe le jour de la Saint-Narcisse !? De quoi couronner comme il se doit celui que ses détracteurs surnomment « Narcisse 1ᵉʳ ». Faut-il s’étonner qu’avec lui, chaque visite officielle devienne une sorte de pèlerinage à la gloire de l’homme providentiel qu’il aimerait incarner ? Les symboles ne mentent pas. Emmanuel Macron ne fait rien à moitié. Si François Mitterrand se contentait d’être « Dieu », Emmanuel Macron lui, revendique le rôle de Jupiter, un dieu au charisme d’antan, mais avec le charisme d’un chef d’entreprise en quête perpétuelle d’approbation.
Votre « Narcisse national », pour certains, pourrait aller jusqu’à décorer Notre-Dame avec des vitraux à son effigie. Certes, cela choquerait, mais qu’importe. À ce stade, le choc est son terrain de jeu. N’a-t-il pas lui-même évoqué la « modernisation » de l’iconographie de la cathédrale ? Après tout, en tant que fervent ambassadeur du culte de la République, il pourrait très bien y installer un panthéon à son image. Tout se tient. L’Élysée, Notre-Dame, l’État lui-même, tout doit se plier à son image — même si c’est au prix d’une indigestion nationale.
Il y a des figures publiques dont on ne se lasse pas, et puis il y a Emmanuel Macron, omniprésent au point que les événements sportifs eux-mêmes semblent en avoir assez. Coupe du monde de football, de rugby, Jeux Olympiques 2024… Pas un podium n’échappe à sa course effrénée vers la lumière. Et peu importe si la critique le pointe du doigt, c’est précisément là son exercice favori. Les « observateurs » parlent d’égocentrisme « pathologique », et de narcissisme d’État. Nous voilà gouvernés par un homme pour qui tout événement, grand ou petit, doit nécessairement tourner autour de sa personne. Même les scandales de santé publique trouvent écho dans son silence éloquent, faute de la transparence médicale promise, comme pour dire : « moins vous en savez, plus vous avez à imaginer. »
À l’ère Macron, le simple fait d’aimer le président se transforme en passage obligé pour progresser dans les hautes sphères. Car il ne suffit plus d’être compétent ; encore faut-il rendre un hommage quotidien à cette dévotion exigeante. On pense à cette phrase de Jack Lang à propos du socialiste François Mitterrand : « Il est tellement narcissique que quand il est quelque part où personne ne parle de lui, il en déduit qu’il n’est pas là. » Emmanuel Macron, lui, la porte à un autre niveau. Entouré de sujets ou de fidèles, c’est selon, quiconque refuse de se plier au jeu est excommunié, banni, invisibilisé. Ceux qui ne sont pas nés sous la bonne étoile doivent jouer les courtisans, même si le trône les méprise en retour.
Pour finir, il suffit d’imaginer une chanson en fond sonore. Guy Béart avait bien anticipé avec « Parlez-moi de moi. » Une mélodie que l’on peut facilement imaginer tourner en boucle dans les appartements privés de l’Élysée, chaque refrain nourrissant ce désir d’attention sans fin. Le président de la République prendrait peut-être une pause pour contempler, non pas la France, mais son propre reflet dans les fenêtres de l’Histoire, tout en espérant que celle-ci lui rendra enfin cet amour qu’il se porte.
Et si le locataire de l’ Élysée lève les yeux de son miroir, espérons qu’il verra autre chose que lui-même.