Il y a des scandales sanitaires qui mettent à jour des injustices inqualifiables, des négligences impensables. L’affaire de l’Androcur en est un, et parmi les pires, car elle touche à un sujet particulièrement intime : le corps des femmes. Ce médicament, initialement destiné à traiter une pilosité excessive, s’est retrouvé prescrit massivement, bien au-delà de ses indications premières, pour une myriade de raisons qui, toutes, ont un point commun. Elles concernent les corps de femmes aux prises avec des douleurs, des attentes ou des transformations qui méritaient une prise en charge plus juste et mieux encadrée.
Androcur, acétate de cyprotérone, un médicament qui se voit prescrire pour l’endométriose, les parcours de transgenrisme, l’acné rebelle, et qui, loin de guérir, laisse une empreinte indélébile sur la santé de celles qui l’ont pris. Parce que ce médicament n’a pas seulement modifié l’apparence physique de ces patientes ou atténué des symptômes visibles. Il a surtout déclenché des méningiomes, ces tumeurs bénignes mais parfois dévastatrices, qui s’installent comme une ombre invisible mais tenace dans la vie de ces femmes. Un risque connu, et pour certains médecins, tu.
Les témoignages rassemblés par l’association Amavea, qui vient de porter plainte contre X, rappellent les effets dévastateurs de l’Androcur. Pertes de motricité, hémiplégies, troubles de la mémoire et de la parole.
Ce scandale, bien sûr, est plus complexe qu’il n’y paraît. D’un côté, Bayer reconnaît les risques depuis 2004, mais ne demande à l’Afssaps (l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) de modifier la notice qu’en 2007. Et il faudra attendre 2011 pour qu’un changement effectif ait lieu. De l’autre côté, les patientes continuent de recevoir des ordonnances d’Androcur, souvent sans informations claires. En 2019, une lettre d’information est bien envoyée à 40 000 médecins et 70 000 patients, mais des milliers de femmes sous traitement n’ont rien reçu. Résultat : elles poursuivent le traitement, insouciantes des conséquences qu’elles découvrent bien trop tard.
Que dire de ces choix ? Qui a vraiment eu pour priorité la santé des patientes ? Dans cette histoire, les grands absents sont le suivi, la vigilance, et surtout, le respect. Des patientes témoignent de médecins qui, malgré les alertes, continuent de prescrire le traitement sans explications. Parfois, c’est à l’occasion d’un bilan de santé ou d’une consultation tardive qu’elles apprennent les risques. Ces omissions, qu’on pourrait considérer comme de la « mauvaise communication », laissent en réalité une blessure profonde : celle de ne pas avoir été respectées, informées, entendues.
L’Androcur est aujourd’hui bien moins prescrit, mais l’ombre qu’il laisse plane encore. Combien de patientes ignorent encore les risques qu’elles encourent ? L’association Amavea le sait : il faudra des années pour faire émerger tous les cas de méningiomes liés à ce médicament. Et c’est bien ce que l’on redoute dans cette affaire : l’immensité d’un préjudice encore invisible, d’une colère légitime, d’une douleur banalisée.
Ce qui est peut-être le plus troublant, c’est que l’Androcur ne représente pas un cas isolé. C’est un exemple de plus dans une liste de scandales sanitaires qui montre un système de santé faillible, trop lent, dans lequel la sécurité des patientes est mise en attente face aux complexités administratives, aux intérêts économiques, ou pire, à l’indifférence. Il est urgent de changer le paradigme : de placer les patientes, et non les protocoles ou les profits, au centre des décisions. Car c’est de leur vie qu’il s’agit.