Si Atos incarnait la fierté de l’industrie informatique française, aujourd’hui, l’ex-fleuron lutte pour sa survie, sous perfusion de l’État. Les négociations exclusives annoncées cette semaine, visant à céder sa branche Advanced Computing, s’apparentent davantage à un ultime acte de désespoir qu’à une stratégie de sauvetage réfléchie. Derrière les chiffres et les communiqués aseptisés, se cache une débâcle aux multiples responsables.
À force de courir après les acquisitions tous azimuts, Atos a oublié l’essentiel. Intégrer et consolider. Sous la direction de Thierry Breton, l’entreprise s’est lancée dans une course effrénée à la croissance externe, avalant des filiales sans jamais en tirer de synergies réelles. Résultat ? Un patchwork d’activités mal alignées, incapable de tenir le rythme face à des concurrents mieux structurés.
En parallèle, le virage vers le cloud a été manqué, laissant Atos dans les starting-blocks tandis que le secteur décollait. Les investissements en recherche et développement ? Ridicules. Les compétences en interne ? Sous-développées, faute d’une stratégie claire de formation. Et pendant ce temps, la dette explosait à 4,65 milliards d’euros de dette brute fin 2023. Une montagne insurmontable, même pour un groupe de cette envergure.
Face à ce naufrage, l’État se pose en sauveur. Mais soyons clairs. Si l’intervention publique vise officiellement à protéger des activités “stratégiques”, elle ressemble surtout à une opération de contrôle des dégâts. En 2023, la commission des Finances a validé la nationalisation temporaire d’une partie des activités d’Atos. Une solution de court terme qui, une fois de plus, pèse sur les contribuables.
L’État français joue ici un double jeu. D’un côté, il se veut le gardien de la souveraineté numérique et militaire, notamment à travers les supercalculateurs utilisés dans la dissuasion nucléaire. De l’autre, il met 700 millions d’euros sur la table en octobre dernier, pour finalement proposer une nouvelle offre à… 500 millions. Un recul qui laisse perplexe quant à la véritable volonté de sauver l’entreprise.
La faillite d’une vision industrielle
Le cas Atos est symptomatique d’un mal plus profond. L’incapacité chronique de la France à soutenir durablement ses champions industriels. À force de vouloir être présent partout, Atos s’est éparpillé, diluant son expertise et perdant sa compétitivité. La faute revient en partie à l’État, toujours prompt à intervenir sans jamais imposer une gouvernance rigoureuse.
Le fiasco des discussions avec Airbus en mars dernier est une autre preuve de cette dérive. Ce retrait brutal a porté un coup fatal à la crédibilité d’Atos, réduisant à néant l’espoir de trouver rapidement des partenaires solides. Depuis, le groupe peine à attirer des repreneurs sérieux pour ses filiales Big Data & Security, pourtant prometteuses sur le papier.
Des salariés en première ligne
Dans cette tempête, ce sont les 2 500 salariés de la branche Advanced Computing qui se retrouvent en première ligne. Que leur avenir dépende d’une signature avec Bercy d’ici mai 2025 est inacceptable. Le manque de clarté sur les conséquences sociales de la restructuration est une autre faille majeure dans la gestion de cette crise. Car derrière les négociations et les plans de sauvetage, ce sont des milliers de vies professionnelles qui restent suspendues.
L’illusion d’un sauvetage
Alors que les discussions exclusives avec l’État reprennent, il est difficile de ne pas voir cette opération comme une tentative d’acheter du temps. Même si l’accord aboutit, Atos n’est pas tiré d’affaire : la dette reste colossale, et les divisions Mission Critical Systems et Cybersecurity Products attendent toujours des repreneurs.
Atos survivra-t-il à cette énième opération de sauvetage ? Le groupe, autrefois symbole d’excellence, ne pourra renaître qu’au prix d’une refonte totale. Une tâche titanesque que ni l’État ni les dirigeants d’Atos ne semblent pour l’instant prêts à assumer pleinement.