Le « modèle danois » de gestion de la crise migratoire est souvent cité en exemple par certains députés européens. Quotidien Libre a rencontré des réfugiés affectés par cette politique pour comprendre ses implications réelles.
Sous la direction de la Première ministre Mette Frederiksen, le Danemark a drastiquement réduit le nombre de demandes d’asile, passant de 21 000 en 2015 à moins de 2 000 en 2023. Cette politique, visant à atteindre l’objectif de « zéro réfugié irrégulier », s’inspire des mesures restrictives amorcées par le gouvernement libéral précédent et renforcées par les sociaux-démocrates depuis 2019. Kaare Dybvad Bek, ministre de l’Immigration et de l’Intégration, soutient que cette approche vise à réduire le trafic d’êtres humains et à contrôler l’afflux de migrants en Europe, affirmant que les réfugiés devraient arriver via le programme de réinstallation de l’ONU.
À Avnstrup, un centre de rétention situé à 40 minutes au sud de Copenhague, une centaine de migrants attendent leur expulsion. Tahir, un réfugié iranien de 38 ans, raconte son parcours depuis son arrivée au Danemark en 2013. Sa famille, constamment déplacée de centre en centre, vit dans une incertitude permanente.
Avant Avnstrup, sa famille a connu « peut-être une quinzaine » de ces structures. À Avnstrup, les conditions de vie sont plus vivables que dans d’autres centres : pas de barrières autour des bâtiments, un potager à disposition des migrants et une garderie et une école à proximité. Cependant, les migrants n’ont pas le droit de travailler et doivent régulièrement signer des feuilles de présence, restreignant leurs horaires de sortie. Ces centres sont isolés en pleine campagne, loin de tout transport en commun.
En 2016, une réforme a réduit la durée des permis de résidence de cinq à deux ans, augmentant l’incertitude parmi les réfugiés. Nadereh, une réfugiée syrienne de 59 ans, a fui la guerre civile en 2014 et s’est installée au Danemark après avoir été empêchée de passer la frontière suédoise.
Bien qu’elle et sa famille aient réussi à s’intégrer, avec des emplois et une scolarisation pour ses enfants, l’incertitude demeure. Lorsqu’elle a reçu un courrier l’informant que son titre de séjour était révoqué l’an dernier, l’inquiétude a gagné toute la famille. Grâce à l’aide d’un avocat, Nadereh pu obtenir un nouveau permis de résidence de deux ans, mais elle « ne se sent pas en sécurité ».
La politique danoise est souvent perçue comme un modèle par d’autres pays européens, notamment en raison de sa fermeté apparente. Niels Jespersen, commentateur politique proche des sociaux-démocrates et rédacteur en chef du média Pio, estime que le Danemark a réussi à diviser par dix le nombre de demandes d’asile en moins d’une décennie en « projetant une image de pays dur sur l’immigration ». En 2015, le gouvernement libéral a lancé une campagne de communication dans la presse libanaise pour inciter les réfugiés à choisir un autre pays d’accueil, et une loi en 2016 a permis la saisie des biens et bijoux des migrants pour contribuer au coût de leur prise en charge, une mesure symbolique qui a marqué les esprits.
Cependant, cette approche a été critiquée pour ses impacts humanitaires. Sascha Faxe, députée du parti d’opposition Alternativet, dénonce une « compétition entre les responsables politiques danois pour savoir qui sera le plus strict sur l’immigration ». Elle argue que cette politique affaiblit l’UE en refusant de participer à une réponse collective à la crise migratoire.
Eva Singer du Conseil danois pour les réfugiés (DRC) note que cette politique complique l’intégration des réfugiés.
De nombreux employeurs hésitent à embaucher des salariés qui ne seront peut-être plus là dans deux ans, si leur permis n’est pas renouvelé.
Avec l’aide du DRC et de nouveaux documents envoyés d’Iran, Tahir et sa famille ont enfin obtenu un permis de résidence il y a un mois. Mais la pression politique a un effet dissuasif sur les réfugiés.
Nous avons moins de demandes d’asiles et certains ont préféré partir vivre ailleurs en Europe
constate Eva Singer.