Progressivement, cette drogue bon marché et très addictive gagne du terrain. Des trafics organisés s’étendent en région, répondant à une demande toujours plus forte.
Le fléau du crack, bien connu depuis la fin des années 1990 à Paris, ne concerne plus que la capitale. Également surnommée « free base » ou « cocaïne basée », cette drogue, aux effets ravageurs, se répand depuis quelques années dans tout l’Hexagone, proliférant bien au-delà de l’Île-de-France et des centres urbains, jusque dans les campagnes.
Dans les Hauts-de-France par exemple, la vente et la consommation de cette cocaïne transformée avec du bicarbonate de soude ou de l’ammoniac prennent de l’ampleur sur l’ensemble du territoire, constate l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) contacté par BFMTV.com.
« Le secteur compiégnois (une ville de 40.000 habitants, NDLR) se singularise par un trafic de crack, dans le quartier du Clos-des-Roses notamment, qui n’existe nulle part ailleurs dans la région », souligne l’organisme dans son rapport de 2022.
Les trafiquants y recrutent des « jeunes mineurs (entre 9 et 13 ans) pour compenser une pénurie de main-d’œuvre sur les points de deal », confirme l’office anti-stupéfiants (Ofast), organe de la police nationale chargé de coordonner la lutte contre le trafic de stupéfiants. L’an dernier, un adolescent de 12 ans a été interpellé sur un point de deal du Clos-des-Roses avec 4,5 grammes de crack sur lui. D’autres enfants de la même tranche d’âge ont déjà été identifiés comme faisant partie de ce réseau.
Des trafics organisés
« Le trafic de crack est organisé, sur le modèle du trafic du cannabis, par des réseaux de cité impliquant des nourrices, des guetteurs et des revendeurs sur des points de deal fixes multi-produits », développe l’Ofast. « À Lille par exemple, le crack se retrouve principalement autour de trois points de deal ‘multi-produits’ concentrés dans le secteur Lille-Sud. »
L’expansion du crack est un corollaire de l’arrivée massive en France, depuis plusieurs années, de la cocaïne dont il est un dérivé, nous explique-t-on. L’offre ne cesse d’augmenter et trouve preneurs, en raison de son prix abordable. À Paris, une galette de crack coûte entre 12 et 15 euros, quand il faut compter 50 à 70 euros pour un gramme de cocaïne.
Ainsi, l’OFDT constate que l’usage de la cocaïne basée « se renforce solidement » depuis 2021 à Metz (Moselle), Lyon, Grenoble (Isère), Saint-Étienne (Loire), Aix-les-Bains ou encore Chambéry (Savoie). « Un des éléments permettant d’étayer ce constat est l’augmentation de la distribution d’un matériel de réduction des risques et des dommages dédié à cette consommation: le kit base. »
Les fumeurs de crack sont en effet très exposés aux risques d’infections comme le VIH et les hépatites B et C, en raison notamment des échanges de pipes entre usagers. Ce kit individuel pensé par des associations et financé par les pouvoirs publics vise donc à limiter la transmission de maladies infectieuses.
Des tensions avec les riverains
Car le crack reste « la drogue du pauvre » et se consomme généralement dans la rue, dans des coins insalubres. À Lille, « la visibilité des consommations de cocaïne basée d’usagers précaires y est particulièrement forte », note l’OFDT, et peut créer des tensions avec les habitants alentours, ajoute l’Ofast.
« Les effets physiques produits par le crack (‘montée’ immédiate et intense, forte stimulation mentale, ‘redescente’ très douloureuse) engendrent des troubles sur la voie publique. Et la durée brève de l’effet provoqué par le crack – plus puissant que la cocaïne – conduit les usagers à une multiplication des prises, décuplant ainsi les comportements déviants », détaille l’office anti-stupéfiants.
À Bordeaux, les plaintes des riverains se multiplient alors que la quiétude du quartier historique de Saint-Paul ou encore de la Grosse cloche est perturbée par l’arrivée du crack.
« Quand on passe en voiture, ils tapent sur la voiture, nous crachent dessus. (…) Ce n’est pas parce qu’ils sont malades que l’on doit, nous, subir des nuisances », souffle auprès de France 3 un Bordelais excédé.
De nouveaux consommateurs
Toutefois, la consommation de cocaïne basée ne concerne plus uniquement les personnes en situation de précarité. Les profils tendent à se diversifier sous l’effet de la disponibilité grandissante du produit.
L’Ofast remarque ainsi « l’émergence de nouveaux usagers, socialement insérés et consommant habituellement de la cocaïne ».
Comment lutter contre ce fléau? A Paris, une stratégie de lutte spécifique a été mise en place sous l’autorité du préfet de police. Lors de l’investiture de Laurent Nunez, le 21 juillet dernier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lui a posé un ultimatum: « D’ici un an, ce grave problème sanitaire et sécuritaire qui pourrit la vie des Parisiens doit être réglé. »
« Dans les autres villes du territoire, ainsi qu’en zone rurale, les services répressifs agissent contre le crack dans le cadre de leur stratégie globale de lutte contre les trafics de stupéfiants (démantèlements de points de deal, etc.) », nous précise l’Ofast, soulignant que pour « entraver la diffusion du crack, il est avant tout nécessaire de lutter contre l’acheminement de la cocaïne ».
Des failles dans la prise en charge des usagers
Par ailleurs, les professionnels de santé déplorent des difficultés d’accès aux soins et aux cures de sevrages. « Les délais d’attente excèdent le plus souvent plusieurs mois et se révèlent anxiogènes pour les usagers », note l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Et l’accès à un hébergement demeure « particulièrement difficile » pour les toxicomanes vivant dans la rue.
« Il faut des lieux où l’on puisse les traiter sur un plan psychologique, sur un plan médical. Et des lieux où l’on puisse progressivement – et c’est très long et très difficile – les sortir de la spirale infernale de la drogue », plaidait mi-avril sur BFMTV Pierre-Yves Bournazel, élu du 18e arrondissement de Paris.
Si de multiples réflexions sont engagées pour lutter contre les troubles que l’addiction au crack génère, tant pour ses consommateurs que pour les riverains, les pouvoirs publics semblent à ce stade dans l’impasse.