Alors qu’il reste un an à Paris pour rendre la Seine baignable à l’occasion des Jeux olympiques 2024, plusieurs grandes villes européennes permettent déjà à leurs habitants de piquer une tête dans leurs cours d’eau. Les contextes sont différents mais le cadre législatif français est aussi beaucoup plus strict. Nos explications.
Nager dans la Seine sera « un héritage majeur » des Jeux olympiques et paralympiques 2024, assure depuis plusieurs mois la maire de Paris, Anne Hidalgo. Une promesse vieille de plus de 30 ans et déjà formulée par Jacques Chirac – qui avait assuré, en direct à la télévision, qu’il se baignait dans la Seine en 1993. Un vœu pieux qui pourrait finalement devenir une réalité à l’été 2025. Trois sites de baignades devraient ainsi ouvrir dans les 4e, 12e et 15e arrondissements de la capitale.
Pourtant, à un an du coup d’envoi des Jeux olympiques, difficile d’y croire tant le projet semble aller de déconvenues en déconvenues. Dernière en date le dimanche 20 août : pour la troisième fois en deux semaines, une épreuve test – du triathlon en relais mixte – a vu ses participants contraints, au dernier moment, de rester au bord du bassin. En cause, une concentration trop importante de bactéries Escherichia Coli (E. coli) dans le fleuve. Du côté de l’organisation des JO comme des politiques, on refuse cependant de se laisser abattre. « Ce test intervient en cours de route, le dispositif n’est pas à maturité. Il reste de gros efforts, de nouveaux moyens déployés pour améliorer la qualité de l’eau de la Seine. On l’a vu, elle s’améliore de mois en mois et va continuer de s’améliorer », a ainsi assuré le patron du comité d’organisation, Tony Estanguet.
Paris n’est pas la seule grande ville européenne où il est question de piquer une tête dans le cours d’eau qui la traverse. À Bâle, à Vienne ou encore à Copenhague, c’est même une réalité depuis plusieurs années, au point de devenir un argument touristique.
Des modèles suisses, allemands, danois…
À Bâle, en Suisse, dès le retour des beaux jours, habitants comme touristes peuvent ainsi se jeter dans le Rhin et se laisser porter par le courant. Pour cela, il suffit de se munir d’un « Wickelfisch », un sac de natation étanche qui, une fois vêtements et éléments personnels glissés dedans, va servir de flotteur.
En Allemagne voisine, la nage en eaux libres est aussi monnaie courante. À l’Englisher Garten de Munich, le plus grand parc urbain européen, les baigneurs peuvent plonger dans un canal artificiel ou surfer sur une vague artificielle depuis les années 1970. Pourtant une grande ville industrielle, les habitants d’Essen, dans l’ouest du pays, peuvent quant à eux se baigner dans le lac Baldeney.
Plusieurs capitales européennes offrent aussi des zones de baignade. Il est possible de plonger dans le Danube à Vienne et à Belgrade, dans les canaux d’Amsterdam ou encore dans le port de Copenhague. L’été, la ville danoise se dote même d’une plage de sable blanc, particulièrement courue par les habitants en quête de fraîcheur.
Au total, selon le rapport 2023 sur la gestion des eaux de baignade de l’Agence européenne pour l’environnement, les villes comptant le plus grand nombre de points d’eaux de baignade sont Amsterdam (38), Stockholm (36), Berlin (33), Lugano (28), Genève (25), Rotterdam (23) et Vienne (23).
« La baignade urbaine connaît un important regain d’intérêt depuis plusieurs années », constate Julia Moutiez, architecte et doctorante au laboratoire LAVUE (laboratoire de recherche en sciences sociales sur l’urbanisme), qui travaille sur le retour de la baignade en Île-de-France. « Cela est dû, d’abord, à une évolution des loisirs. Les citadins veulent de plus en plus se reconnecter à la nature. Un fleuve, ou un lac, contrairement à une piscine, sera vu comme un milieu naturel en pleine ville. »
À cela vient s’ajouter la nécessité de s’adapter à des périodes de chaleur de plus en plus intenses à cause du dérèglement climatique. « Les autorités cherchent des lieux frais pour faire face aux canicules dans des villes qui, souvent, en manquent cruellement. Faire des cours d’eau des lieux de baignade, ou même des lieux de tourisme fluvial, c’est une façon de rafraîchir la population. »
Qualité de l’eau, législation…
Mais alors que Paris semble peiner à mener à bien son projet, comme ces villes y sont-elles parvenues ? Systématiquement avec la même combinaison : un renouvellement des réseaux d’assainissement et la modernisation des stations d’épuration, explique Julia Moutiez.
« Mais tous les cas cités sont incomparables car les contextes sont à chaque fois très différents. La difficulté d’assainir les cours d’eau va dépendre de beaucoup de facteurs – la densité de population, la présence d’usines, la distance de la source… « , insiste-t-elle. « Le Rhin, à Bâle, par exemple, est beaucoup plus proche de sa source que la Seine ne l’est à Paris. Le fleuve y est aussi beaucoup plus large. L’eau est donc plus propre et aussi plus facile à assainir. »
« À Copenhague, il s’agit d’eau de mer – la mer Baltique – qui entre dans le port, et non pas d’eau douce », précise-t-elle. Dans cette capitale souvent présentée comme un « modèle vert », les autorités avaient lancé d’importants travaux d’assainissement dès les années 1990, initialement pour favoriser la biodiversité. « C’est dans ce cadre qu’une première piscine naturelle a été ouverte à la baignade. Face au succès de l’opération, les autorités ont décidé de la pérenniser et les zones baignables se sont étendues progressivement. Aujourd’hui, c’est devenu un argument touristique, et il n’y a pas une brochure sur la ville qui n’en fait pas mention », poursuit la doctorante.
À Paris aussi, la qualité de l’eau s’est considérablement améliorée depuis les années 1990, selon la spécialiste. « Mais, peut-être plus qu’ailleurs, certains aléas sont difficiles à maîtriser, notamment la pluie. » Les précipitations, a fortiori en cas d’orage, font déborder les égouts et une partie des eaux usées se retrouvent dans la Seine, altérant fortement sa qualité.
Un problème qu’on retrouve aussi à Essen, en Allemagne. Comme à Paris, la baignade dans le lac Baldeney avait été interdite dans les années 1970 à cause d’une pollution des eaux trop importante. Elle a été rouverte en 2017 après un vaste projet de traitement des eaux usées et de surveillance de la qualité de l’eau. En parallèle, les autorités ont mis en place un système d’alerte précoce pour la pollution : dès que les pluies dépassent un certain seuil, la baignade devient ainsi automatiquement interdite pendant quelques jours.
« Outre la question de la qualité de l’eau, il y a une autre différence majeure : la législation », note Julia Moutiez. « En Suisse ou Allemagne, quand on saute dans un fleuve, on engage sa responsabilité individuelle. En France, s’il y a un accident ou si on tombe malade, on peut se retourner contre les autorités. Ces dernières ont donc tendance à être beaucoup plus prudentes. »
Améliorer l’image de la Seine ?
Quoi qu’il en soit, quand bien même Paris réussirait à son tour à assurer une qualité suffisante des eaux de baignade, il lui resterait un défi majeur à relever : celui d’améliorer l’image de la Seine. Selon un sondage de l’institut Ifop publié le 1er juillet 2021, la Seine est le fleuve français le moins attrayant pour la baignade, avec 70 % des Français qui refuseraient d’y plonger. « Le fleuve a longtemps été vu comme un égout, un cours d’eau très pollué et sale, voire un endroit où flottent des cadavres », explique Julia Moutiez. « Mais cette image archaïque évolue progressivement. Il y a dix ans, ce nombre aurait certainement été encore plus important. »
« Alors certes, l’annulation des épreuves ces dernières semaines n’aide pas à améliorer cette image mais les JO permettent de montrer tout le travail et les efforts qui sont faits pour améliorer la qualité de l’eau à Paris », termine-t-elle. « Et cela, à terme, va faire changer le regard que l’on porte sur la Seine.