À l’occasion de la sortie du film « Barbie » de Greta Gerwig, en salles ce mercredi, retour sur l’histoire la poupée la plus célèbre du monde, pionnière dans bien des domaines, mais aussi critiquée pour l’image qu’elle véhicule.
Et Mattel créa Barbie. En 1959, le fabricant de jouets américain commercialise une drôle de poupée destinée aux fillettes. Non pas un bébé à pouponner, pour jouer à la maman, mais une « poupée-mannequin » aux formes de femme. Une femme qui correspond aux canons de beauté de l’époque. Et qui tout au long de son existence va changer, pour toujours coller à ces canons.
« Au début, elle ressemblait beaucoup aux pin-up des années 1950 », souligne ainsi la conservatrice Anne Monier Vanryb, commissaire de l’exposition Barbie au musée des Arts décoratifs en 2016.
« Elle a un corps avec les seins un peu triangulaires, que les femmes obtenaient à l’époque avec des soutiens-gorge particuliers. Elle a aussi la taille fine que les femmes de l’époque obtenaient par des gaines. »
Cette première Barbie est en maillot de bain, ce qui correspond à la démocratisation des vacances dans les pays occidentaux, et permet surtout de vendre une garde-robe pour la vêtir. C’est d’ailleurs dans cette optique que la Barbie possède une telle plastique, une taille et des bras très fins: pour être habillée et déshabillée plus facilement par les fillettes.
Cette Barbie a également le pied cambré, pour pouvoir porter des talons, comme en portent alors les femmes. Il faut attendre les années 2000 pour voir apparaître des modèles de pieds flexibles, pour pouvoir mettre des baskets.
Et si en terme de silhouette, Barbie colle aux diktats imposés aux femmes, elle se révèle plus pionnière dans ses activités. Dès 1965, Mattel dégaine ainsi une Barbie astronaute, deux ans seulement après la première femme dans l’espace – la soviétique Valentina Terechkova. Mais bien avant sa consœur américaine, Sally Ride, en 1983.
« Ce sont des carrières dans l’air du temps, mais pas forcément très accessibles aux femmes », note Anne Monier Vanryb, qui évoque également une Barbie chirurgienne, au tout début des années 1970.
« C’est une femme indépendante, qui travaille, mais dans un contexte de société non égalitaire, encore très patriarcale », note auprès de l’AFP Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
Barbie : une incarnation de l’Amérique
« Dans une société de consommation, c’était un peu nécessaire que la femme ait un salaire au sein d’une famille, pour que la société de consommation vive », précise Christine Castelain Meunier. « C’est donc un contexte de société très particulier, (avec) des symboles de consommation qui accompagnent certes son émancipation mais, en même temps, qui la transforment en salariée, qui est toujours inférieure dans l’univers professionnel aux hommes, qui travaillent, construisent une carrière et ont un salaire supérieur. »
Barbie est en effet, lors des premières décennies de son existence, une « incarnation de l’Amérique, de la réussite économique américaine, c’est l’incarnation de la société de consommation », souligne également Anne Monier Vanryb.
Barbie astronaute, créée en 1965, exposée en 2021 à Las Vegas.
Très vite également, Barbie change d’apparence. Dès le milieu des années 1960, « elle va changer pour ressembler à Jackie Kennedy (l’épouse du président américain John F. Kennedy), jusque dans la coiffure », rappelle Anne Monier Vanryb.
Un autre gros changement dans l’apparence de la poupée intervient à la fin des années 1960. Barbie adopte alors le corps filiforme des « mannequins du Swinging London, le corps de Twiggy », une mannequin britannique, icône de cette époque, comme le précise la spécialiste. Pour elle, Barbie est « une couverture de magazine de mode de son époque ».
Si la première Barbie afro-américaine est également lancée à la fin des années 1960, elle ne « marche pas du tout au début ». Mattel a en effet choisi de transformer Fancie, cousine de Barbie, une poupée blanche, en poupée afro-américaine, ce qui crée la confusion dans l’esprit du public. « Mattel la retire très vite », évoque Anne Monier Vanryb, avant de lancer Christie, l’amie afro-américaine de Barbie, qui rencontre, elle, le succès.
Des seins : avec ou sans tétons ?
Puis, dans les années 1970, s’adaptant une fois encore à l’idéal de beauté de son temps, la Barbie perd son regard en coin et son air un peu austère pour « avoir une peau plus bronzée, un sourire pour la première fois ».
La question de jusqu’où pousser le réalisme de Barbie, a été au cœur des réflexions depuis sa création. Ainsi au début, les cadres de Mattel, tous des hommes, n’étaient pas très à l’aise avec les seins de la poupée imaginée par Ruth Handler, l’épouse d’Eliott Handler, co-créateur de Mattel avec Harold Matson. Fallait-il lui faire des seins lisses ou des tétons ?
« Le téton, c’était vraiment le nerf de la guerre », évoque la spécialiste des jouets.
« Quand on lit la biographie de la créatrice de Barbie, il y a plein de commentaires sur comment devaient être les seins de Barbie. Et les tétons étaient un vrai sujet. C’est tout ce que l’on vit aujourd’hui sur les réseaux sociaux, autour des tétons des femmes, à quel moment la nudité des femmes doit-elle être cachée. »
Barbie et sa période rose
Dans les années 1990, Barbie connaît un nouveau virage dans sa carrière et son look. Un virage rose bonbon pour séduire une cible plus jeune. « Mattel s’est rendu compte que les petites filles qui jouent à la poupée avaient vraiment rajeuni, et a développé tout un segment princesse, en parallèle d’un segment sirène, et d’un segment paillettes », analyse Anne Monier Vanryb.
En perdant son ancrage dans son époque, et en prenant ce virage conte de fée, la poupée de Mattel s’attire des critiques.
« C’est dans ces années-là qu’ont commencé les reproches sur le fait que Barbie renvoie une image de la femme qui est uniquement préoccupée par son apparence et par ses vêtements », souligne la conservatrice.
Trop girly, trop superficielle, trop rose, Barbie est aussi souvent critiquée pour sa silhouette, irréaliste, qui donne des complexes aux petites filles. « Nous donnons à nos filles des poupées Barbie, pour qu’elles aient une image de ce à quoi elles devraient ressembler en grandissant qui n’est pas atteignable, pour leur apprendre qu’elles sont nulles et qu’elles feraient mieux de se tuer », ironise ainsi l’humoriste américaine Sarah Silverman dans son spectacle Speck of dust en 2017.
« Si on trouve que Barbie renvoie une image de la femme qui est gênante, c’est parce que toute l’époque renvoie une image gênante », avance Anne Monier Vanryb. « Barbie ne fait qu’incarner toutes les attentes qui pèsent déjà sur la représentation des femmes, et qui sont véhiculées par les médias, les magazines, les marques de mode, par la société. »
Briser le plafond de verre
Pour répondre aux critiques, Mattel introduit en 2016 des Barbie aux silhouettes un peu plus diverses. Grandes, petites, rondes, le mollet plus galbé ou la taille moins fine, ces poupées tranchent avec les précédentes générations.
Par ailleurs, depuis le début des années 2010, le champ des carrières pour les Barbie s’est considérablement élargi. « Aujourd’hui, il y a vraiment une volonté de Mattel de mettre Barbie en scène dans des carrières dans lesquelles les femmes sont sous-représentées, pour justement aider à briser le plafond de verre », explique Anne Monier Vanryb.
On trouve donc désormais une Barbie réalisatrice, une Barbie cheffe de chantier, Barbie apicultrice, Barbie architecte, Barbie footballeuse…
Barbie entrepreneure est aussi un modèle du genre. Tirée à quatre épingles et très bien coiffée, elle est dotée de tout un tas d’accessoires. « Elle a un ordinateur, un petit board pour montrer son business plan… », raconte Anne Monier Vanryb, expliquant que « derrière, il y a toute une explication sur le fait que 30% des PME américaines sont gérées par des femmes et constituent un tissu d’entreprises incroyable aux États-Unis. Elles peuvent faire un peu sourire, mais derrière il y a un vrai discours ».
Car Mattel affiche aujourd’hui un discours très engagé et a renoué « avec le côté très pionnier de Barbie sur les carrières, sur les silhouettes, alors que la cible est toujours très très jeune », ajoute la conservatrice.
Les Barbie à l’effigie de femmes « inspirantes » se sont multipliées. « Il s’agit de montrer aux petites filles qu’on peut aller toujours plus loin », souligne Anne Monier Vanryb. « Cela fait partie de tous les efforts que fait Barbie pour coller à notre société, qui demande aussi tout ça pour les enfants. » Si elle relève du marketing, cette évolution n’en est ainsi pas moins une nouvelle façon pour la poupée de continuer à vivre avec son époque.