Bien plus que toute autre artiste lyrique, Maria Callas aura déchaîné les passions et envoûté son auditoire jusqu’à devenir « Le centenaire de Maria Callas : un héritage tragique célébré, de son vivant, un mythe moderne. La chanteuse libre et tourmentée aurait eu 100 ans, le 3 décembre dernier. Portrait.
Resplendissante avec ses fossettes saillantes, le nez aussi droit qu’un contre-ut et le sourire éclatant, Maria Callas monte sur la scène de l’Opéra Garnier dans une longue robe rouge qui laisse entrevoir des épaules nues. Ce 19 décembre 1958, le Tout-Paris s’est donné rendez-vous pour entendre la cantatrice à son acmé.
Les caméras de l’ORTF sont à l’affût pour capter ce récital diffusé en Eurovision, première apparition de « la Callas » sur le sol français où elle finira ses jours, après une vie que l’on croirait empruntée aux héroïnes des tragédies lyriques qu’elle a si superbement incarnées. Rien n’était pourtant acquis à cette femme cosmopolite, d’une liberté farouche, rénovatrice de l’art lyrique, qui n’a été épargnée, jusqu’après sa mort précoce, ni par la rumeur publique qui lui survivra, ni par les tourments personnels.
Une voix trop peu travaillée pour le conservatoire d’Athènes
Sophie Cecilia Kalos voit le jour à New York, le 2 décembre 1923, dans une famille émigrée grecque. Sa mère, Evangelia, est enceinte d’elle lorsque le couple quitte le Péloponnèse sous la pression du père, George Kaloyeropoulos, pharmacien bien établi tenté par l’aventure américaine. Le rêve devient mirage quand la famille peine à retrouver aux États-Unis le statut social qu’elle a laissé en Grèce. « À l’âge auquel les enfants devraient être heureux, je n’ai pas eu cette chance », déclarera plus tard Maria.
Le couple se délite et celle qui se fait encore appeler Mary et sa grande sœur Yakinthi, dite Jackie, vivent sous la coupe d’une mère en quête de reconnaissance sociale. La famille déménage sans cesse, tandis que George court les femmes et qu’Evangelia surinvestit l’éducation de ses filles. Mais dans le foyer, une radio diffuse les opéras du Metropolitan et un piano égaye les soirées. La jeune Maria pousse alors sa voix lors d’événements scolaires et commence à subjuguer son auditoire. Quand le couple se sépare en 1937, Evangelia décide de regagner la Grèce avec ses deux filles. C’est dans son pays d’origine, pendant les années de guerre, que Maria peaufine son art, malgré un premier refus du conservatoire d’Athènes de l’intégrer dans ses effectifs, jugeant sa voix peu travaillée et lui reprochant ses lacunes en solfège.
Evengelia, qui a trouvé une professeure pour sa fille, s’entiche d’un colonel italien et pousse Maria, encore mineure, à chanter pour l’occupant. Cette dernière lui en tiendra une rancune tenace. C’est toutefois dans cette Grèce, qu’elle considérera toujours comme sa patrie, qu’elle dira avoir appris le sens de la tragédie, en plus de trouver sa voie et sa voix.
Fâchée avec sa mère, elle décide de repartir tenter sa chance aux États-Unis, sans succès. La voilà réduite à chanter dans les restaurants pour gagner sa vie, jusqu’à l’année 1947 où le grand chef de fosse italien Tullio Serafin la sollicite pour interpréter la Gioconda, de Ponchielli. La rencontre avec ce spécialiste du répertoire lyrique sera décisive.
L’ascension d’une icône
Elle part immédiatement pour l’Italie et tombe amoureuse d’un riche industriel mélomane, Giovanni Battista Meneghini, qui jouera lui aussi un rôle considérable dans son ascension. Si elle fait merveille dans Wagner, endossant le rôle si exigeant d’Isolde, c’est avec les Puritains, de Bellini, qu’elle frappe les esprits.
À travers cet opéra, elle découvre le répertoire du bel canto, que sa voix épouse à merveille. Une voix fascinante, que certains diront « soprano coloratura », d’autres « mezzo-soprano », finalement inclassable, qui frappe par l’incomparable velours de son timbre et sa force d’incarnation inédite. S’ouvre alors la décennie fastueuse où Maria devient La Callas, créant l’événement à chacun de ses déplacements, à chacun de ses enregistrements ou à chacune de ses représentations dans son repaire de la Scala de Milan, entourée des chefs Karajan, Giulini, De Sabata et des metteurs en scène Visconti ou Zeffirelli.
Délestée de la trentaine de kilos qui l’encombraient et la complexaient, admirée, courtisée ou jalousée, elle devient une figure iconique et affirme une indépendance de caractère peu commune qui lui vaudra d’être taxée – non sans arrière-pensées misogynes – d’acariâtre et colérique.
Cernée par la presse people
La chanteuse croise alors la route du riche armateur grec Aristote Onassis, qui l’invite sur son yacht à l’été 1959. C’est le coup de foudre, et Maria demande le divorce d’avec Meneghi. Cette liaison aura fait couler beaucoup d’encre. De fait, un amour profond, sincère, qu’elle ne reniera jamais, la lie au milliardaire séducteur malgré le mariage qu’il noue avec Jackie Kennedy en 1968, et qu’il aura toujours refusé à Maria… Accablée par les scandales, cernée par la presse people, vocalement en déclin mais soucieuse de vivre librement sa vie, elle quitte peu à peu la scène.
En 1969, le fond de l’air est rouge, et Pier Paolo Pasolini la sollicite pour interpréter Médée dans son prochain film. Ce sera sa seule apparition au cinéma, dans un film complexe où elle crève l’écran, qui sera l’occasion d’une profonde amitié avec l’intellectuel communiste.
La mort d’Onassis, en 1975, qu’elle accompagne à son chevet, la plonge dans une torpeur dont elle tente de s’extraire en ingurgitant une quantité phénoménale de médicaments. Il ne faudra attendre que deux ans pour la retrouver morte à son tour, dans la solitude de son appartement parisien, emportée par une embolie pulmonaire à 53 ans seulement.