Lundi, à Cali, une scène quasi surréaliste s’est jouée à la COP16 sur la biodiversité. Tandis que des dirigeants et des experts, confortablement installés dans des fauteuils bien rembourrés, débattaient de la meilleure façon de sauver la planète (en buvant du café bio, bien sûr), Oswaldo Muca Castizo, chef indigène de l’Amazonie colombienne, s’est avancé, un peu comme un invité inattendu à la fête. Et là, surprise : il a osé parler d’argent.
Oui, vous avez bien lu. Ce monsieur, président de l’Organisation des peuples indigènes de l’Amazonie colombienne (OPIAC), a réclamé un « financement direct » pour protéger les territoires amazoniens. Et il n’a pas seulement demandé une petite enveloppe symbolique ou un « fonds pour les projets verts » où l’argent s’égare dans une jungle de bureaucratie. Non, il a réclamé du « cash », du vrai, à verser directement à ceux qui, depuis des siècles, préservent cette forêt vitale pour l’humanité. Apparemment, l’Amazonie, ce poumon de la Terre qu’on s’amuse à saluer chaque 22 avril (Journée de la Terre pour les écolos distraits), ne se protège pas toute seule.
Alors, que demandent-ils exactement, ces peuples indigènes ? Eh bien, qu’on leur donne les moyens de continuer à protéger ce que nous, « civilisés », passons notre temps à détruire à coups de tronçonneuses et d’extracteurs de minerais. Une idée lumineuse, mais qui semble avoir du mal à pénétrer les cerveaux trop occupés à rédiger des « stratégies globales » dans les tours de verre. Les mots d’Oswaldo Muca Castizo étaient pourtant limpides :
Nous avons besoin d’un mécanisme de financement direct.
Traduction pour les technocrates : arrêtez de nous vendre vos promesses vides emballées dans des programmes que personne ne comprend. Donnez-nous de l’argent directement, pour que nous puissions protéger nos terres, qui, accessoirement, sont aussi les vôtres. Parce que, surprise, si vous détruisez l’Amazonie, ce n’est pas juste un problème local, c’est l’oxygène de la planète qui part en fumée. Mais qui pense encore à ce genre de détail ?
S’il y a une chose que les peuples indigènes ont bien compris, c’est que les discours enflammés sur la « sauvegarde de la biodiversité » ne suffisent plus. Oswaldo Muca Castizo ne mâche pas ses mots :
Il est temps de faire la paix avec la nature.
Les autochtones l’ont déjà faite, cette paix, depuis des millénaires. Ils vivent en harmonie avec cette forêt dont on nous rabâche les oreilles, tandis qu’au Nord, on se gave de « croissance durable » en déboisant à tour de bras pour planter des palmiers à huile. Et cerise sur le gâteau ? C’est cette vision paradoxale de sauver l’Amazonie en ignorant royalement ceux qui y vivent depuis toujours. Comme le dit Oswaldo Muca Castizo :
Si nos terres cessent d’être des réserves, d’autres personnes de l’extérieur viendront les exploiter, les détériorer.
Pourtant, on préfère encore les ignorer, ou les peindre en jolis personnages pittoresques pour les forums internationaux, sans vraiment les écouter.
Mais pourquoi tant de mépris ?
Peut-être parce qu’écouter les peuples indigènes reviendrait à admettre que nous, les grandes civilisations modernes, avons lamentablement échoué à protéger la planète. C’est tellement plus facile de leur envoyer quelques millions, de mettre un joli label « soutien à la biodiversité » dessus, et d’aller se coucher la conscience tranquille. Mais offrir un financement direct ? Alors là, ça devient compliqué. Parce qu’avec ça, on perd le contrôle. Et si les peuples indigènes se mettaient à prendre les choses en main, avec leur propre mode de gouvernance ? Adieu la paperasse inutile et les intermédiaires grassement payés.
Oswaldo Muca Castizo, lui, ne demande qu’une chose. Qu’on lui donne les moyens d’agir. Mais il faut croire que, même pour sauver la planète, il est plus simple de causer dans des micros, d’organiser des cocktails et de faire la tournée des conférences climatiques que de signer un chèque. Quant à ceux qui veillent réellement sur l’Amazonie, ils continueront de le faire, avec ou sans notre aide, et c’est peut-être ça, le plus troublant.