Le jeudi 19 septembre est une date qui passera probablement inaperçue pour la majorité des Français. Pourtant, elle devrait résonner comme un coup de tonnerre. Ce jour-là, une enquête de la cellule investigation de Radio France a mis en lumière une vérité dérangeante. Notre eau du robinet, cette ressource censée être la plus basique et la plus sûre, est contaminée par des polluants éternels dans 43 % des cas. Oui, presque un verre sur deux est empoisonné, insidieusement, silencieusement.
Ces polluants, appelés PFAS, sont présents partout. Dans nos poêles en téflon, dans les cosmétiques que nous utilisons chaque jour, jusque dans les emballages alimentaires. Ils ne se dégradent pas. Jamais. C’est comme si nous buvions, jour après jour, une petite dose de produits chimiques. Le pire ? Ce n’est pas un problème nouveau. Cela fait plus de vingt ans que ces risques sont identifiés. Mais que fait-on ? Pas grand-chose. On reporte, on promet des études, des réglementations « à venir », on tergiverse. Et, pendant ce temps, nos corps absorbent ces substances, sans que nous n’ayons notre mot à dire.
L’enquête de Radio France est implacable. 89 prélèvements, effectués dans toute la métropole, révèlent des niveaux inquiétants de ces substances dans de nombreuses zones, parfois jusqu’à deux fois supérieurs à la future limite réglementaire. Cognac, Lyon, et tant d’autres villes sont touchées. Et 2026, l’échéance pour que les collectivités se mettent en conformité, semble à la fois proche et désespérément lointaine. Pourquoi ? Parce que les moyens, la volonté politique et la coordination manquent cruellement. En 2026, il faudra que le total des PFAS dans l’eau ne dépasse pas 100 nanogrammes. Mais que nous dit-on déjà ? Que cette limite pourrait être assouplie pour certaines villes. Parce que, voyez-vous, tout le monde n’a pas les mêmes capacités de rattrapage.
Mais de qui se moque-t-on ? Depuis quand la protection de notre santé devient-elle optionnelle ? Depuis quand une ville peut-elle se dire : « Chez nous, ce sera un peu plus de poison dans l’eau, mais on fera mieux, un jour » ? La Direction générale de la santé, avec un flegme déconcertant, nous dit qu’elle procédera « au cas par cas ». C’est-à-dire que certaines communes pourront, en toute légalité, continuer à distribuer de l’eau contaminée. Et les Français ? Silence. Pas de débat, pas d’alternative.
Les coupables invisibles
Bien sûr, les collectivités locales sont en première ligne. Elles doivent rassurer les habitants, les informer des dépassements potentiels. Mais comment accepter cette responsabilité quand on n’est pas responsable ? Prenons l’exemple de Saint-Symphorien-d’Ozon, dans l’agglomération lyonnaise. Là-bas, l’eau est contaminée. Pas parce que la ville le veut, mais parce qu’elle abrite des usines qui fabriquent ces fameux PFAS. Anne Grosperrin, élue responsable du cycle de l’eau dans la région, s’indigne : « Il est hors de question que nous assumions la responsabilité pour une pollution dont nous ne sommes pas responsables ». Difficile de ne pas ressentir un certain vertige face à cette injustice. Les collectivités sont poussées dans le rôle du coupable, tandis que les industriels continuent de rejeter leurs poisons, protégés par des autorisations légales.
Et l’État dans tout ça ? Il se pose en arbitre, distribuant des dérogations ici, laissant faire là. En juillet dernier, il a même proposé à des collectivités de « déposer un dossier de demande de dérogation pour distribuer une eau non conforme ». Oui, vous lisez bien, on propose aux villes de légaliser le fait de distribuer une eau toxique. Le cynisme n’a plus de limite.
Quand la justice s’en mêle
Heureusement, certains ne comptent pas laisser ce scandale perdurer sans réagir. Le 30 juillet dernier, le tribunal judiciaire de Lyon a autorisé la création d’un collège d’experts pour enquêter sur les responsabilités des industriels Arkema et Daikin, dans la pollution des eaux du département. Des citoyens et des collectivités s’unissent pour attaquer en justice ces multinationales, les accusant de mise en danger de la vie d’autrui et d’écocide. Mais là encore, combien de temps faudra-t-il avant que la justice rende son verdict ? Des années, sans doute. Des années pendant lesquelles les PFAS continueront de s’accumuler dans nos organismes.
L’hypocrisie du « en même temps »
Au final, tout cela ressemble à ce que l’on connaît bien. Un « en même temps » gouvernemental. On fixe des limites, mais on laisse des exceptions. On parle de santé publique, mais on accorde des dérogations. On se pose en protecteur, mais on autorise les industriels à polluer. Ce grand écart entre le discours et les actes est de plus en plus difficile à accepter.
Peut-être qu’un jour, quand les cancers se multiplieront, quand les perturbations hormonales deviendront monnaie courante, on se souviendra de ce moment où l’on a préféré fermer les yeux. Mais d’ici là, pour ceux qui boivent encore sans méfiance l’eau de leur robinet, le poison continuera de couler à flot, avec la bénédiction silencieuse de ceux qui auraient pu l’arrêter.