Il y a des trajectoires qui, sans tapage ni éclat excessif, redessinent les contours de leur époque. Celle de François Bustillo, cardinal depuis peu et figure de proue d’une Église en quête de souffle, est de celles-là. Son parcours – évêque d’Ajaccio, médiateur sur une île souvent en tension, désormais proche conseiller du pape François – intrigue autant qu’il fascine. À 56 ans, cet homme discret, d’une sérénité contagieuse, incarne une certaine idée de la foi, enracinée dans l’humilité, mais tournée vers les défis d’un monde fracturé.
La récente annonce de la visite du pape François en Corse, un événement inédit et inattendu, illustre la singularité de ce cardinal atypique. Que le souverain pontife, affaibli par l’âge, choisisse de poser le pied sur une île souvent perçue comme périphérique en dit long sur l’influence de celui qu’on surnomme déjà, ici et là, « le médiateur du Vatican ».
Quand François Bustillo prend la tête du diocèse d’Ajaccio en 2021, il arrive sur une terre paradoxale. Profondément marquée par ses traditions catholiques, la Corse est aussi un espace de revendications identitaires, où la foi cohabite avec une défiance envers les institutions. Plutôt que de chercher à imposer une vision venue d’ailleurs, François Bustillo choisit l’écoute. Il apprend des mots de corse, s’intéresse aux particularismes culturels, et, surtout, ose aborder des sujets sensibles comme l’autonomie insulaire.
Mais au-delà des discours, c’est son approche méthodique et apaisante qui frappe. Loin des éclats médiatiques, François Bustillo privilégie les ponts, là où d’autres érigeaient des murs. Cette capacité à dialoguer, même avec ceux qui s’éloignent de l’Église, résonne avec une époque où la parole religieuse est souvent perçue comme déconnectée.
Un charisme sobre, une spiritualité en mouvement
Pour comprendre François Bustillo, il faut revenir à ses racines. Né à Pampelune, dans une Espagne marquée par les tensions politiques et religieuses, il rejoint l’ordre franciscain, un choix qui reflète déjà un goût pour la simplicité et la proximité avec les humbles. Après avoir arpenté les chemins de l’Aude ou dirigé le couvent de Lourdes, il s’installe en Corse avec une vision claire : l’Église doit être une maison ouverte, accueillante, capable de refléter les complexités du monde qu’elle sert.
Cette sobriété n’exclut pas une certaine ambition, mais elle s’exprime autrement. Chez François Bustillo, pas de grands manifestes, pas de slogans creux, mais une recherche constante d’équilibre, entre autorité et dialogue, entre spiritualité et action concrète.
Une Église qui ne se divise pas
L’un des points centraux de son message réside dans une idée simple mais essentielle : « Le cœur ne se divise pas. » C’est aussi le titre de son dernier livre, préfacé par le pape François. Ce credo, qui prône l’unité dans la diversité, résonne particulièrement en Corse, où l’identité insulaire est parfois synonyme de tensions.
Cette vision, François Bustillo l’applique autant à la politique locale qu’à l’Église elle-même. À une époque où les divisions internes minent souvent l’institution catholique – entre traditionalistes et progressistes, entre dogmatiques et réformistes –, sa posture apparaît presque prophétique.
Un homme d’ici et d’ailleurs
La récente nomination de François Bustillo comme cardinal a confirmé ce que beaucoup pressentaient. Cet homme, qui maîtrise aussi bien les subtilités de la politique corse que celles des arcanes vaticanes, est appelé à jouer un rôle central. Il incarne une génération d’hommes d’Église qui refusent le cloisonnement.
Pour autant, le cardinal Bustillo garde les pieds sur terre. Aux spéculations qui le voient déjà comme un potentiel successeur du pape François, il répond par le silence ou un sourire esquissé. Ce qui compte, pour lui, n’est pas la grandeur du rôle, mais la profondeur de l’engagement.
La visite du pape en Corse, si elle est perçue comme un événement exceptionnel, est peut-être surtout un message subtil. En choisissant cette île, le pape François signale que les périphéries ne sont jamais trop éloignées du cœur. François Bustillo, lui, joue un rôle de relais précieux, mais pas seulement. Son ascension fulgurante illustre un modèle de leadership que l’Église pourrait bien adopter. Moins centré sur l’institution et plus attentif aux marges, aux brisés, aux oubliés.