C’est un serpent de mer qui revient, toujours plus brûlant. En annonçant une nouvelle loi sur l’immigration pour début 2025, le gouvernement rouvre un dossier hautement inflammable. Un an seulement après l’adoption d’un texte sur le même sujet, qui avait mis à rude épreuve l’unité de la majorité, l’exécutif choisit de remettre cette question au cœur du débat politique. Mais cette fois-ci, la fracture pourrait être encore plus profonde, notamment au sein de l’alliance entre la macronie et la droite.
Alors que l’opinion publique est marquée par des faits divers tragiques, le gouvernement Barnier cherche à répondre à une demande croissante de fermeté. L’affaire de Philippine, cette étudiante assassinée dans le bois de Boulogne, et dont le principal suspect est un ressortissant marocain sous obligation de quitter le territoire (OQTF), sert désormais de point de cristallisation. Dans ce contexte, une partie de la droite réclame des mesures plus strictes, voyant dans la gestion des étrangers en situation irrégulière une faille dans le dispositif sécuritaire.
L’une des propositions sur la table est emblématique de cette volonté de durcir le ton : allonger la durée maximale de rétention en centre administratif. Aujourd’hui de 90 jours, elle pourrait passer à 210 jours pour les étrangers jugés particulièrement dangereux. Une prolongation qui pourrait donner plus de temps aux autorités pour organiser les expulsions, mais qui pose aussi des questions sur le respect des droits fondamentaux. Car allonger les rétentions, c’est potentiellement enfermer plus longtemps des personnes sans procès, et sans solution immédiate.
Pour beaucoup, cette mesure n’est qu’un des nombreux éléments d’une politique migratoire toujours plus répressive. Gérald Darmanin, en première ligne sur ce dossier, compte également réintroduire des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel lors du précédent texte. Le délit de séjour irrégulier, en particulier, pourrait faire son retour. Pour ses partisans, il s’agit de rétablir une forme d’autorité. Pour ses opposants, c’est une voie dangereuse, qui ne réglera en rien les problèmes de fond et qui risque de criminaliser encore davantage des populations déjà précaires.
L’aide médicale d’État, un symbole sous pression
Autre point de tension à venir, l’aide médicale d’État (AME). Ce dispositif, qui permet aux étrangers en situation irrégulière d’accéder aux soins, est régulièrement critiqué par certains élus, qui y voient un « appel d’air » incitant à l’immigration clandestine. Réformer l’AME, voire la restreindre, serait un geste fort adressé à l’aile droite de la majorité, mais au prix d’une nouvelle ligne de fracture, cette fois avec les défenseurs des droits humains et du respect de la dignité des personnes.
Sur le plan symbolique, toucher à l’AME, c’est toucher à l’image que la France se fait d’elle-même : un pays qui prend soin des plus vulnérables, indépendamment de leur statut administratif. Mais dans un contexte de restrictions budgétaires et de pression migratoire, ce principe est de plus en plus remis en question. Reste à savoir si le gouvernement ira jusqu’au bout de cette logique.
La droite et la macronie : une alliance sous tension
Le véritable enjeu de cette nouvelle loi sur l’immigration est peut-être ailleurs. Ce projet de loi pourrait marquer un tournant politique majeur, notamment pour la majorité présidentielle, qui cherche à trouver un équilibre fragile entre fermeté et humanisme. L’alliance avec la droite, déjà mise à l’épreuve lors des précédentes discussions, semble sur le fil. Bruno Retailleau et ses troupes plaident pour une ligne dure, en phase avec une partie de l’opinion publique. Mais au sein même de la macronie, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une dérive sécuritaire et un glissement vers des positions traditionnellement portées par la droite.
Dans ce contexte, le Premier ministre Michel Barnier et ses ministres devront jouer les équilibristes. D’un côté, ne pas céder aux sirènes d’un durcissement trop prononcé qui pourrait entraîner la désolidarisation de la frange centriste de la majorité. De l’autre, donner suffisamment de gages à une droite qui pousse pour un changement radical des règles migratoires. La marge de manœuvre est étroite.
Un débat inévitable mais risqué
Le gouvernement sait que le sujet de l’immigration est explosif, mais aussi incontournable. Depuis plusieurs années, la question hante les débats publics, nourrissant les frustrations, les fantasmes, et les divisions. À la veille d’une année électorale européenne, le terrain est particulièrement glissant, d’autant plus que l’extrême droite n’a jamais été aussi puissante sur ces thèmes.
En lançant ce projet de loi, Emmanuel Macron et son gouvernement prennent un grand risque. Celui de diviser encore plus la société française, et peut-être même leur propre camp. Mais à défaut de réponses concrètes aux attentes de fermeté exprimées par une partie des citoyens, le pouvoir pourrait se voir accusé de laxisme ou de déni de réalité.