La police israélienne a annoncé mi-novembre l’ouverture d’une enquête sur de possibles viols et violences sexuelles commis par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre sur le festival Tribe of Nova. Alors que les témoignages de rescapées sortent au compte-gouttes, l’enquête va désormais devoir documenter ces crimes de guerre malgré le tabou qui les entoure.
On ne sait pas encore tout de l’attaque sanglante perpétrée par le Hamas le 7 octobre. Mais un mois et demi après, la parole commence à se libérer concernant les violences sexuelles commises sur des femmes israéliennes, notamment celles présentes au festival de musique Tribe of Nova, qui a été pris pour cible par le mouvement islamiste dans le désert du Néguev.
La police israélienne a annoncé le 14 novembre l’ouverture d’une enquête pour des viols et des mutilations commises par des hommes du Hamas ce jour-là. « Nous avons de multiples témoins dans plusieurs affaires », précise David Katz, chef de la section cyber de l’unité de police criminelle Lahav 433, surnommée « le FBI israélien ».
Des témoignages au compte-gouttes
Pour appuyer ses dires, la police a présenté à des journalistes une vidéo montrant des corps d’Israéliennes inertes et déshabillées après l’attaque du 7 octobre, suggérant que les victimes auraient subi des exactions sexuelles. Dans la presse, les témoignages de survivantes se multiplient. Le quotidien israélien Haaretz s’est fait l’écho de celui d’une jeune festivalière, qui dit avoir assisté au viol collectif d’une femme.
Celle-ci aurait ensuite été abattue d’une balle dans la tête par les hommes du Hamas. Ce week-end, c’est Le Parisien qui publie le portrait d’une rescapée du 7 octobre, « Esther », qui raconte avoir été violée et tabassée sous les yeux de son petit ami : « C’était si douloureux que j’ai perdu connaissance, ils ont arrêté lorsqu’ils m’ont crue morte ». La jeune femme raconte ensuite avoir été mutilée par un homme du Hamas.
En Israël, la culture trance au chevet des survivants du festival Tribe of Nova
En parallèle, la police assure avoir recueilli les témoignages de plusieurs bénévoles de l’ONG Zaka, qui a récupéré les dépouilles après le massacre, allant dans ce sens. « Leurs récits décrivaient de nombreux corps de femmes nus et portant des signes de brutalité et d’abus », précise le journal Haaretz. Outre les interrogatoires des combattants du Hamas détenus par le Shin Bet, les agents israéliens peuvent s’appuyer sur de nombreuses preuves vidéo (caméras de surveillance, images de caméras GoPro du Hamas), ainsi que sur la reconnaissance faciale pour tenter d’identifier les responsables de ces crimes.
« Certains éléments, comme les pelvis brisés ou des corps de femmes nues, laissent penser qu’il y a eu des viols et d’autres exactions à l’égard des femmes lors de cette attaque, ce qui n’est pas étonnant au vu de sa barbarie, mais pour l’instant nous avons très peu de détails », estime Céline Bardet, juriste en droit international, spécialiste des crimes de guerre. « Le phénomène du viol comme arme de guerre est connu depuis très longtemps. C’est une arme qui détruit les générations suivantes », complète Me Julie Goffin, avocate au barreau de Bruxelles et auprès de la Cour pénale internationale (CPI), une instance non reconnue par l’État hébreu.
« Déni » des institutions internationales
En Israël, des personnalités de la société civile se sont regroupées dans une commission « sur les crimes du Hamas commis le 7 octobre contre les femmes et les enfants ». Certaines, comme la professeure de droit international Ruth Halperin-Kaddari, ont d’ailleurs critiqué le silence de l’ONU à ce sujet : « En restant silencieux, [l’ONU] ne se contente pas de nous décevoir, nous les femmes israéliennes, elle discrédite tout le système. Elle perd en crédibilité », a déclaré au quotidien Haaretz l’enseignante à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv.
Même constat chez Cochav Elkayam Levy, professeure de droit international à l’université de Pennsylvanie, aux États-Unis : « Des femmes et des filles ont été assassinées, torturées, terrorisées et violées de la manière la plus inhumaine possible. Les preuves sont accablantes et indéniables. Et encore une fois, le même mécanisme de déni infligé aux victimes individuelles de viol est désormais infligé à nous tous (…) Au lieu de se voir proposer de l’aide, nous sommes tous soumis à un déni collectif international », a-t-elle écrit sur le réseau social X.
« Dans 90 % des dossiers, tout ce qu’il reste, c’est la parole des victimes »
Mardi 21 novembre, une délégation d’ONU Femmes a finalement rencontré des membres de la commission civile israélienne. Dès le lendemain, Sima Bahous, la directrice exécutive d’ONU Femmes s’est dit « alarmée par les informations inquiétantes faisant état de violences sexistes et sexuelles. J’ai réitéré l’appel […] que tout acte de violence à l’égard des femmes et des filles, y compris la violence sexuelle, soit condamné sans équivoque et doit faire l’objet d’une enquête approfondie avec la plus haute priorité ».
Reste encore à documenter ces crimes. Selon Céline Bardet, le travail d’enquête mené par la police israélienne pourrait s’avérer particulièrement difficile au vu du contexte : « Ce sont des corps extrêmement dégradés sur lesquels vont devoir travailler les médecins légistes ». Six semaines après l’attaque du 7 octobre, le travail d’identification des corps continue sur la base militaire de Shura, reconvertie en morgue. D’autre part, « dans la religion juive, il est très important d’enterrer les corps rapidement après le décès, donc une partie des examens médicaux-légaux ont dû être réalisés a minima », ajoute l’ancienne experte auprès du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
Pour l’avocate Julie Goffin, « dans 90 % des dossiers, tout ce qu’il reste, c’est la parole des victimes. Mais comme dans toute affaire de violence sexuelle, la première chose à laquelle vous pensez, c’est de vous enfuir et de vous relever » du traumatisme. « Faire parler les survivants est très important, mais en allant chercher cette vérité, vous pouvez aussi déstabiliser des familles et rendre le travail contre-productif. C’est pour cette raison que la vérité peut mettre des années à sortir ». Dans le cas de la guerre d’Algérie, où des viols massifs de l’armée française sur les femmes algériennes ont été documentés, le sujet reste encore tabou, soixante ans après les faits.
Les associations féministes se déchirent
En France aussi, le sujet a fait irruption dans le débat public. Une pétition, qui rassemble plus de 37 000 signatures à ce jour, dont celles de la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) ou la chanteuse et actrice Charlotte Gainsbourg, demande que l’attaque du 7 octobre soit reconnue comme un « féminicide de masse ». « De nombreux civils sont morts, mais les femmes n’ont pas été tuées de la même façon que les autres », souligne le texte à l’initiative de l’association Paroles de femmes.
Samedi 25 novembre, près de 200 personnes du collectif Nous vivrons, majoritairement de confession juive, ont d’ailleurs voulu porter le message lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes organisée par le collectif féministe Nous toutes, qui revendique 80 000 participants. Elles avaient préparé des pancartes affichant « #MeToo unless you are a Jew » (« #MeToo sauf si vous êtes juive ») ou « Féministes, votre silence vous rend complices ». Mais au moment d’intégrer le cortège parisien, elles se sont heurtées à l’hostilité d’un groupuscule antifasciste et les policiers leur ont déconseillé d’insister. Un épisode qui a fait réagir jusqu’à la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard : « Comme je l’ai dit, il faut condamner toutes les violences faites aux femmes. Y compris les viols de masse comme arme de guerre, en Israël et ailleurs. Je suis choquée que certains (…) n’aient pas voulu que ce message soit entendu », a-t-elle déclaré, communiqué à l’appui sur X.
De son côté, le collectif Nous toutes a répondu à travers un communiqué que les manifestantes « ont défilé autour de la place avec des pancartes attaquant une partie des associations organisatrices de la manifestation » et en compagnie d’hommes portant « des gants coqués ce qui a inquiété les organisations présentes ». Par ailleurs, le collectif « condamne sans ambiguïté les crimes sexuels et sexistes, viols et féminicides commis par le Hamas ».
Pour tenter de sortir des polémiques, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) organise du 3 au 5 décembre un « voyage d’information et de solidarité » en Israël avec des parlementaires français. Des ONG comme la Fondation des femmes ou celle de Céline Bardet, We are not weapons of wars (WWoW), qui travaille sur les violences sexuelles en temps de guerre, ont notamment été approchées pour y participer.