On les aperçoit de plus en plus souvent, dans les ruelles de Paris et d’autres villes françaises. Ces bars où s’entassent des dizaines de boîtes de jeux de société, attendent patiemment d’être choisies par un groupe d’amis, une famille ou des inconnus venus partager une soirée. À l’abri du tumulte quotidien, autour d’une table et de quelques cartes, ils rient, bluffent, discutent. Mais une question persiste : pourquoi, à l’heure où tout semble aller si vite, des adultes se rassemblent-ils pour jouer comme des enfants ?
À mesure que les bars à jeux de société gagnent en popularité, ils révèlent quelque chose d’essentiel : une quête de déconnexion. Dans ces lieux, pas de notifications incessantes, pas de feed à scroller – seulement des règles simples et des interactions humaines. Avec les confinements imposés par la crise du covid, nombreux sont ceux qui ont redécouvert la valeur de ces moments partagés. Plutôt que de se contenter de jeux vidéo, dont les ventes sont aussi en forte hausse, des adultes se tournent vers des plaisirs tangibles et bien réels. Une sorte de retour aux sources, presque nostalgique, qui invite chacun à faire un pas de côté pour échapper, l’espace de quelques heures, au rythme effréné du quotidien.
Dans un bar à jeux, toutes les générations se côtoient. Des enfants jouent avec leurs parents, des jeunes adultes partagent une table avec leurs grands-parents, chacun découvrant à sa façon le plaisir d’une partie de cartes ou d’un jeu de plateau. Cette diversité n’est pas anecdotique. Elle marque un refus des cloisons artificielles entre âges et rôles sociaux. En réalité, dans un monde hyperconnecté où la solitude numérique est de plus en plus répandue, jouer ensemble devient un acte de rébellion douce. On se libère des attentes d’âge ou de « maturité » pour privilégier le simple plaisir de passer un bon moment ensemble.
L’expérience du jeu, entre sérieux et légèreté
Le philosophe allemand Friedrich Schiller écrivait : « L’homme n’est pleinement homme que lorsqu’il joue. » Pour certains, ce retour au jeu relève d’une nécessité psychologique : jouer permet de se déconnecter des pressions, de renouer avec une forme de spontanéité que les rôles sociaux tendent à refouler. La psychologue Esther L., adepte de jeux de société, raconte : « Jouer, c’est renouer avec une part de moi-même, une version de moi qui n’a pas de performance à atteindre, pas de rôle à jouer. C’est une liberté essentielle. »
Pour d’autres, le jeu de société est plus qu’une évasion temporaire ; il devient un terrain d’expression où se tissent des liens, où se nouent des amitiés et où les caractères se révèlent. Jouer sérieusement, c’est aussi prendre le temps d’interagir avec sincérité, sans masque. En un sens, ces moments de jeu donnent à chacun un espace où il peut être à la fois sérieux et insouciant, explorant les facettes multiples de l’âme humaine.
Le jeu, un acte de résistance douce
En somme, cette prolifération des bars à jeux témoigne d’un mouvement plus large et plus profond qu’une simple mode. Dans un monde saturé d’écrans et de pressions, le jeu de société devient un acte de résistance douce, un refuge où l’on se retrouve tel que l’on est, avec les autres, sans filtre. Plus qu’un passe-temps, le jeu de société est devenu pour beaucoup un espace de réappropriation de soi, loin des logiques de productivité et des cadres de « l’adulte sérieux ».
Alors, la prochaine fois que l’on croise un groupe d’adultes absorbés autour d’un jeu de société, peut-être vaut-il la peine de s’arrêter un instant. Peut-être que jouer, à tout âge, n’est pas seulement un moment de détente, mais une manière de se rappeler que la vie est faite aussi de ces instants de partage, de rire et de complicité. Après tout, pour quoi d’autre vivons-nous, sinon pour ces moments ?