L’Europe vient de franchir un cap avec une décision qui pourrait bien redéfinir les contours de sa politique migratoire. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a récemment statué que les femmes afghanes peuvent désormais obtenir l’asile en Europe sur la simple base de leur genre et de leur nationalité. Serait-ce un nouveau chapitre dans le grand livre des contradictions européennes en matière d’immigration ?
Cela fait plus de deux ans que les talibans ont repris les rênes de l’Afghanistan. Deux ans au cours desquels la situation des femmes a rapidement plongé dans l’obscurantisme. Privées d’éducation, d’emploi, et de toute visibilité dans l’espace public, elles sont désormais les victimes d’un “apartheid de genre”. Si le terme est fort, il n’en est pas moins juste. Human Rights Watch et l’ONU le martèlent depuis des mois. La condition des femmes afghanes est aujourd’hui l’une des plus terribles au monde.
Alors, pourquoi avoir attendu autant de temps pour reconnaître ce qui semble évident ? Pourquoi cette lenteur dans la prise de conscience européenne, alors que le mal est fait depuis août 2021 ? Bien sûr, mieux vaut tard que jamais, mais ce délai révèle en filigrane l’hésitation constante des instances européennes à prendre des décisions fortes et à les assumer. On semble se préoccuper du sort des Afghanes après coup, alors que leur situation était prévisible dès le retour des talibans.
La décision de la CJUE est marquante dans la mesure où elle rend obsolète l’obligation de prouver un risque spécifique de persécution pour les femmes afghanes demandant l’asile. Désormais, être une femme afghane est en soi un motif suffisant. Sur le plan humain, cela semble incontestable. Ces femmes sont victimes d’une oppression systémique et se voient refuser toute forme d’émancipation. Mais sur le plan juridique, cela pourrait entraîner des répercussions inattendues.
L’asile est traditionnellement accordé sur la base de persécutions personnelles et spécifiques. Ce nouveau paradigme, qui lie de façon indissociable nationalité et genre, pourrait ouvrir la voie à des interprétations plus larges du droit d’asile. Certains craignent déjà une dilution des critères d’octroi, où d’autres catégories sociales ou nationalités pourraient réclamer la même bienveillance, complexifiant davantage une politique migratoire européenne déjà fragmentée.
Un miroir pour les contradictions européennes
L’Europe, qui s’efforce d’apparaître comme une terre d’accueil humanitaire, se heurte à ses propres paradoxes. D’un côté, des États comme la Suède, l’Allemagne ou la France se disent prêts à accueillir ces femmes afghanes, victimes d’un régime totalitaire. De l’autre, la réalité des politiques migratoires nous montre un tableau moins angélique. Les expulsions vers l’Afghanistan n’ont jamais cessé, et le traitement réservé aux migrants afghans dans certains pays européens, notamment en Europe de l’Est, frôle l’indifférence.
Prenons la Norvège, par exemple. Jusqu’à récemment, elle accordait automatiquement l’asile aux réfugiés ukrainiens, invoquant le conflit en cours. Mais ce même pays a mis fin à cette mesure en septembre 2024, arguant que la majorité des bénéficiaires étaient des hommes en âge de se battre.
L’asile genré : un nouvel équilibre ?
La décision de la CJUE pourrait aussi bouleverser l’équilibre actuel des flux migratoires. Historiquement, les demandeurs d’asile sont majoritairement des hommes, comme en témoignent les statistiques de 2015, où près de 70 % des migrants ayant traversé la Méditerranée étaient des hommes. Mais avec cette décision, les femmes afghanes pourraient représenter une part de plus en plus importante des demandeurs d’asile en Europe.
Cela répond à une nécessité impérieuse : les femmes en situation de vulnérabilité méritent une protection spécifique. Pourtant, ce bouleversement potentiel pourrait être perçu comme une politisation de l’asile, où les femmes sont soudainement érigées en figures de proue d’un humanisme européen qui n’est pas appliqué avec la même intensité pour les autres crises migratoires.
Les limites de l’engagement européen
Cette décision, bien qu’innovante, met en lumière les limites de l’engagement européen en matière de droits humains. Le texte de la CJUE reste une recommandation et non une obligation. Chaque État membre pourra choisir d’appliquer ou non cette jurisprudence, créant une nouvelle fracture dans la gestion des flux migratoires au sein de l’Union. Si certains pays sont déjà enclins à accorder l’asile aux femmes afghanes, d’autres, comme la Hongrie ou la Pologne, restent farouchement opposés à toute expansion des critères d’accueil.
Au-delà du cadre juridique, ce qui transparaît de cette décision est une nouvelle fois la difficulté de l’Union à agir de manière cohérente et solidaire face aux crises migratoires. Les femmes afghanes, bien qu’au centre de cette nouvelle jurisprudence, sont les victimes collatérales d’un système européen où les compromis politiques prévalent souvent sur les urgences humanitaires.