C’est une exposition qui ne peut laisser indifférent. Jusqu’au 3 février 2025, le musée du Louvre convie le public à un étrange voyage à travers les méandres de l’esprit humain, incarné par une figure aussi familière qu’insaisissable : le fou. Mais qui est vraiment ce « fou » que l’on a tour à tour craint, moqué, respecté, parfois même sacré ?
Dans les marges des manuscrits médiévaux, il naît d’abord comme un grain de folie sur le papier, une ombre grotesque qui rôde autour des textes sacrés. Des figures hybrides, grimaçantes, presque farceuses, envahissent les marges comme pour nous rappeler que tout ordre coexiste avec son contraire. Déjà, l’insensé dérange, mais il fascine aussi. Car il est celui qui défie les certitudes, celui qui ose dire tout haut ce que les esprits sérieux taisent. Le fou est à la fois un miroir et un avertissement.
Et c’est là toute la force de cette exposition. En remontant le fil des siècles, elle nous montre que cette figure n’est jamais tout à fait la même. Tantôt symbole de la perte de la raison, tantôt incarnation d’une sagesse renversée, il est un personnage à double tranchant. Et nous, visiteurs, que voyons-nous dans son regard ? Peut-être notre propre peur du chaos, celle qui nous habite dès que nous remettons en question l’ordre établi.
Ce qui frappe dans ce parcours, c’est à quel point la figure du fou est inextricablement liée aux passions humaines, à commencer par l’amour. L’idée que l’amour rend fou n’est pas nouvelle, mais ici, elle prend une dimension presque palpable. Aristote, philosophe de grande sagesse, se retrouve à quatre pattes, dominé par Phyllis, son cœur trahi par sa propre raison. Cette image est à la fois hilarante et tragique. La folie de l’amour renverse les puissants et nous ramène à une condition primitive. Est-ce vraiment si différent aujourd’hui ?
Puis, le fou entre dans les palais, non plus pour dénoncer, mais pour divertir. Il devient bouffon, celui dont le rôle est de faire rire le roi, tout en glissant, entre deux plaisanteries, quelques vérités inconfortables. Son costume bariolé, ses grelots et sa marotte, autant de symboles d’une lucidité absurde, lui permettent de critiquer sans risquer sa tête. Triboulet, le bouffon des cours royales, était-il vraiment plus fou que les rois qu’il divertissait ? On en doute.
Cette exposition est avant tout un kaléidoscope. En nous montrant la figure du fou sous tous les angles, elle éclaire aussi notre rapport à l’altérité, à la marginalité, et même à notre propre déraison. Car le fou n’est pas seulement celui que l’on exclut ou enferme. Il est parfois celui que l’on vénère, comme Saint François d’Assise, ce « fou de Dieu » qui renonce à tout pour embrasser la pauvreté.
Et puis, il y a cette immense toile de Tony Robert-Fleury, un choc visuel dans cette exposition. Le Dr Pinel, libérant les malades de leurs chaînes à l’hôpital de la Salpêtrière, nous rappelle que la folie, autrefois marginalisée, est devenue une condition à comprendre et à traiter. Ici, l’art nous confronte à la souffrance réelle, à l’humanité des fous. Ce ne sont plus des fous à divertir, mais des êtres à soigner.
Une question demeure en sortant de l’exposition. Où sont passés les fous aujourd’hui ? Si la psychiatrie moderne a tenté de cerner et de soigner la folie, le fou en tant que figure artistique semble s’être éclipsé. Est-il devenu trop dangereux, trop dérangeant ? Ou bien, notre société, qui valorise tant la rationalité, a-t-elle simplement oublié de laisser une place à l’imprévisible ?
Et pourtant, les fous, dans l’art comme dans la vie, jouent un rôle essentiel. Ils sont la soupape de sécurité d’une société qui a besoin de sortir de ses gonds, ne serait-ce que temporairement. Victor Hugo l’avait compris en donnant à Quasimodo, le « Pape des fous », un rôle central dans Notre-Dame de Paris. Ses monstres, ses gargouilles, présentes à la fin de l’exposition, sont comme les ultimes témoins d’un monde où le désordre et la laideur avaient encore droit de cité.
À ne pas manquer au Louvre, jusqu’au 3 février 2025. Tarifs : 22 euros, pour deux heures de visite qui font perdre, avec plaisir, un peu de notre esprit cartésien. Plus d’informations ici