Aujourd’hui, dans chaque établissement scolaire de France, le même rituel : une minute de silence. Mais derrière ce geste solennel, quelle est la véritable portée de ce recueillement ? Rend-on vraiment hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard, ou ce moment devient-il un acte de routine vidé de sens pour les plus jeunes ?
Deux noms, deux histoires tragiques. Samuel Paty, assassiné en 2020, et Dominique Bernard, en 2023. Tous deux tués par des terroristes islamistes, alors qu’ils exerçaient leur métier. Leur mort a secoué la nation, réveillant à chaque fois une onde de choc. Pourtant, chaque année, ce rappel douloureux semble s’étioler dans les esprits, surtout dans ceux des plus jeunes, pour qui ces événements deviennent de lointaines anecdotes.
Pourtant, ce 14 octobre est un jour de mémoire, un jour où l’on se doit de transmettre bien plus qu’un simple silence. Mais que reste-t-il vraiment de cette transmission lorsque, dans certains établissements, les rires résonnent pendant ce moment de recueillement ? Une adolescente de 5e, Sarah, en témoigne : « Quand un professeur s’est sacrifié pour ses élèves, à Arras, mes camarades ont rigolé… » Un rire nerveux peut-être, un signe d’incompréhension, ou pire, de désinvolture face à une tragédie qui ne les touche plus.
Le poids du symbole
Cette minute de silence, dans son essence, a une force symbolique indéniable. Mais peut-elle suffire face à l’incompréhension grandissante des élèves ? Comment leur faire ressentir la gravité de ce qui s’est passé, comment leur transmettre l’importance de cet hommage sans que cela devienne un exercice mécanique ?
Les enseignants, ces gardiens de la mémoire, tentent d’y répondre. Hocine, 17 ans, lycéen à Paris, a choisi d’écrire un poème avec ses camarades pour traduire ce que les mots officiels n’expriment pas toujours. « C’est sur le désarroi, la peur qu’un prof peut ressentir… » dit-il. « Il peut éprouver une phobie de venir enseigner, malheureusement. » Ces mots dévoilent une réalité crue : la vulnérabilité des enseignants, dont le rôle, jadis perçu comme inviolable, est aujourd’hui parfois bafoué.
Le malaise de la commémoration
Ce malaise se retrouve également dans les sanctions qui, l’an dernier, ont marqué cette journée. Plus de 600 sanctions, dont 85 exclusions définitives, pour des perturbations lors de la minute de silence. Rires, provocations, ou même des cris comme « Allah Akbar », des mots prononcés en classe, révélant une fracture profonde dans la perception de l’événement.
Peut-on vraiment juger ces élèves pour leur manque de gravité, alors que nous-mêmes, adultes, avons du mal à faire sens de ces drames ? L’école, censée être le lieu de transmission des valeurs, est elle-même confrontée à un défi de taille : comment expliquer l’inexplicable ? Comment enseigner la laïcité, la liberté d’expression, le respect, à des enfants qui voient parfois leurs héros, leurs modèles, tomber sous les coups de l’intolérance et de la violence ?
Le silence ne suffit pas
Alors, que reste-t-il après cette minute de silence ? Peut-être pas assez. Le silence ne suffit pas. Il faut des mots. Il faut des discussions, des débats. Il faut expliquer, encore et encore, pourquoi ces professeurs sont morts, pourquoi leur sacrifice dépasse le simple cadre scolaire. Car en leur rendant hommage, c’est aussi à une idée que nous nous adressons : celle de la liberté de penser, d’enseigner, de critiquer.