Coup de tonnerre dans la capitale américaine : le Washington Post, ce monument de la presse internationale, renonce à son soutien présidentiel. C’est vrai, ça fait quarante ans qu’on attendait le journal nous dire qui choisir dans l’isoloir. Mais aujourd’hui, la direction du journal – William Lewis en première ligne – clame son indépendance et sa neutralité retrouvée, alors que le scrutin oppose l’inexpérimentée Kamala Harris au revenant Donald Trump.
Pour l’équipe éditoriale, cette décision a l’arrière-goût amer de la soumission. Robert Kagan, voix forte du journal depuis des années, n’a pas hésité une seconde. Il a claqué la porte avec fracas, furieux de voir son journal, qu’il juge moralement responsable, devenir un simple miroir sans âme. “Nous pensions encore pouvoir donner des avis… pas négocier leur pertinence”, glisse un journaliste désabusé, la plume sans encre face à un processus de soutien soudainement avorté. Et ils ne sont pas les seuls à se révolter : 2 000 lecteurs auraient déjà dit “Bye-bye Bezos” et annulé leur abonnement. Quand le propriétaire d’Amazon, qui n’a même pas pris la peine de nier les accusations, dit que la rédaction se doit de rester neutre, il n’éteint pas le feu, il l’alimente.
William Lewis, en citant un vieil éditorial de 1960 pour justifier sa démarche, pensait sans doute calmer les critiques en revendiquant un retour aux « valeurs traditionnelles » du Washington Post. Sérieusement ? Cette référence poussiéreuse a tout de l’esquive de mauvais goût. Le Washington Post a soutenu Dwight D. Eisenhower, Jimmy Carter, Barack Obama, et Joe Biden. Cette année, soudain, ce serait « contraire à leur politique ».
Au cœur de cette posture, on sent l’empreinte d’une politique de communication savamment orchestrée par Jeff Bezos et ses équipes. En lissant les positions du journal, en neutralisant l’éditorial, il espère peut-être réduire les tensions. Malheureusement, c’est l’inverse qui se produit. De New York à Los Angeles, on s’inquiète du rôle des médias. Le Los Angeles Times, propriété du milliardaire Patrick Soon-Shiong, a lui aussi bloqué un éditorial pro-Harris, prétextant la peur de « diviser encore plus » les lecteurs.
Le cynisme plutôt que le courage
Mais ne soyons pas dupes. Derrière cette décision de façade, on retrouve surtout une volonté d’éviter les vagues. Ce choix – qui n’a rien d’audacieux – s’aligne finalement sur une volonté d’apaisement qui frôle le cynisme. Jeff Bezos, William Lewis et les autres préfèrent jouer la carte de la prudence commerciale, quitte à laisser leurs journalistes à nu face à des lecteurs désabusés. En refusant de prendre parti dans un moment critique, le Washington Post rate l’occasion de se distinguer, choisissant l’abstention au lieu du courage éditorial. Un retour aux racines ? Plutôt un retour en arrière.