Entre herbivores, carnivores et autres omnivores, on se demande si la politique française n’a pas basculé dans un National Geographic politique où les concepts rugissent plus fort que les idées. Lors de son discours à Budapest, Emmanuel Macron, visiblement inspiré par son dernier visionnage du Roi Lion, a gratifiés les Français d’une nouvelle tirade « animalière » : l’Europe, selon lui, doit choisir entre être mangée ou manger. Une rhétorique un peu carnassière qui n’a pas laissé son audience de marbre… ni de pelouse.
Imaginez la scène. Les chefs d’État européens, visages crispés, oscillant entre embarras et incrédulité, assistent à cette allocution où Emmanuel Macron s’efforce d’incarner l’homme de la situation en comparant la géopolitique aux instincts primaires des grands prédateurs. Sans doute pensait-il à une sortie marquante, du genre qui imprime un nouveau souffle à l’Union européenne en réveillant l’instinct guerrier de ses pairs. Hélas, ses interlocuteurs n’ont visiblement pas été convaincus par la démonstration, l’air médusé de certains en disait long. Pour la stratégie, on repassera.
À vrai dire, cette obsession des métaphores simplistes commence à devenir un véritable « Macron Classic ». C’est presque devenu sa signature, une sorte de best of où chaque phrase pourrait figurer dans un recueil intitulé « La Philosophie selon Manu ». Pendant la crise sanitaire, déjà, il nous conseillait paternellement de nous laver les mains « avec du savon ». Ah ! Si seulement il pouvait aussi laver nos cerveaux de cette rhétorique enfantine. Un vrai ABC des bons gestes citoyens, comme si la France entière n’était pas fichue de comprendre les rudiments de l’hygiène sans une intervention présidentielle.
Et là, soyons clairs, l’anecdote du sommet de Budapest n’est pas un cas isolé. Le président maîtrise l’art de l’infantilisation comme personne. Ce penchant se retrouve dans son langage quotidien, ses petites phrases piquantes, et son regard, disons, un brin condescendant sur ses concitoyens. Comme si chaque allocution était l’occasion pour lui de rappeler subtilement que « vous n’y comprenez rien, mais heureusement je suis là ». Un peu comme le professeur qui sait tout et se sent obligé de le faire savoir – avec la pédagogie en moins, l’arrogance en plus.
Je n’ai pas l’intention de laisser l’Europe comme un théâtre habité par des herbivores, que des carnivores, selon leur agenda, viendront dévorer.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 7, 2024
Européens, nous devons être lucides, ambitieux et déterminés sur notre propre agenda, un agenda de souveraineté. pic.twitter.com/ZcepM5DwPa
Plus inquiétant encore, cette approche pseudo-animalière sert, en réalité, un objectif bien plus politique. Derrière la façade, Emmanuel Macron semble, en effet, jouer une carte bien connue dans le jeu politique. Celle de l’opacité stratégique. Mettre tout en termes simplistes pour mieux cacher le fond du discours et éviter les questions gênantes. Après tout, la complexité de la géopolitique n’est pas très télégénique, alors autant parler comme dans un manuel pour enfants. On masque les enjeux réels, on esquive les débats de fond, et on se concentre sur les punchlines. C’est efficace, mais un brin déprimant pour une « démocratie adulte ».
Et c’est là que la vraie question se pose. Jusqu’à quel point cette infantilisation systématique vise-t-elle à simplifier le message ? Car le simplisme a un effet secondaire dangereux. Il façonne une opinion publique à l’image de ses discours. Plus on assène des vérités en noir et blanc, plus on obtient un électorat convaincu que le monde peut se résumer à une histoire de gentils et de méchants, de carnivores et d’herbivores. La complexité s’efface, laissant place à une vision binaire des enjeux.
Avec des métaphores à deux balles et des phrases à l’emporte-pièce, Emmanuel Macron continue de perfectionner son show. Peut-être rêve-t-il d’incarner le héros omniscient, l’homme « omnivore » capable de tout saisir, de tout trancher, de tout comprendre. Mais entre un dîner de cons où il se prend pour l’invité d’honneur et une jungle où chacun serait prêt à se dévorer, on se demande si le président de la République n’a pas simplement perdu pied. Peut-être que ce ne sont pas les herbivores qui devraient se méfier, mais bien lui, avant de finir happé par le cynisme des électeurs.