Ils étaient annoncés comme le grand chantier démocratique du quinquennat. Les États généraux de l’information (EGI), un an après leur lancement en fanfare, devaient sauver la presse, réguler l’information numérique, et restaurer la confiance dans les médias. Mais à la lumière du rapport publié le 12 septembre dernier, le constat est amer : quinze propositions bien sages, des promesses creuses, et un grand vide, qui rappellent plus la poudre aux yeux qu’un réel changement de cap.
On ne peut pas s’empêcher de penser à la célèbre réplique de Patrick Le Lay, ancien patron de TF1, sur le temps de cerveau humain disponible. Dans la même veine, les EGI semblent avoir capté beaucoup de temps médiatique, mais pour quoi ? Pour un résultat tiède, décevant, voire cosmétique. Un grand théâtre d’apparences où l’on enchaîne les mots-clés à la mode – désinformation, algorithmes, intelligence artificielle – mais où l’on contourne soigneusement les vraies questions.
Il faut dire que ce n’est pas la première fois que l’on nous fait le coup ! Emmanuel Macron, en lançant ces États généraux, marchait dans les pas de Nicolas Sarkozy et de ses États généraux de la presse écrite de 2008. Comme une vieille recette réchauffée. À l’époque, on nous avait vendu une révolution avec 90 propositions d’un « Livre vert ». Aujourd’hui, on nous propose quinze mesures, tout aussi déconnectées des réalités du terrain. Et comme en 2008, l’impression dominante est la même. Beaucoup de bruit, pour très peu d’avancées concrètes.
Regardons les propositions : éduquer à l’esprit critique dans les écoles, créer des labels pour les influenceurs d’information, renforcer la protection des sources… Certes, elles sont bien intentionnées. Mais où sont les mesures structurelles ? Quelles sont les propositions qui changeront réellement la donne pour un secteur en crise, qui voit chaque jour l’indépendance des journalistes grignotée par les mastodontes du capital ? Rien sur la concentration des médias, pourtant au cœur des préoccupations. Rien non plus pour véritablement protéger les petits médias indépendants, qui peinent à survivre.
Si les médias sont en crise, ce n’est pas tant à cause des algorithmes de Facebook ou de Google, mais bien parce qu’une poignée de milliardaires, souvent en cheville avec le pouvoir politique, contrôle de plus en plus des titres de presse. Le rapport des EGI n’aborde qu’à peine cette réalité. Les noms de Drahi, Lagardère, ou Saadé sont les grands absents de ce texte. Pourtant, ils façonnent l’information en France, et donc la perception même du monde par des millions de Français.
Comment parler de pluralisme des médias alors qu’un seul homme, Rodolphe Saadé, a récemment mis la main sur Altice Média (BFM, RMC) après avoir racheté La Provence et une partie du groupe M6 ? Le rapport des EGI préfère s’attaquer à des cibles techniques et abstraites : les algorithmes. C’est plus facile que de se frotter aux puissants.
Certains salueront les propositions visant à renforcer la régulation des grandes plateformes numériques, notamment via le DSA (Digital Services Act). On nous promet une meilleure responsabilisation des géants du web et un encadrement de la désinformation. Certes, c’est nécessaire, mais ce n’est qu’un pan de la problématique. La vraie question est celle de l’argent, du pouvoir de ceux qui financent et influencent l’information.
Après 9 mois de travail, plus de 100 auditions, un Tour de France…les membres des EGI ont rendu leurs propositions pour préserver l’information en France mais aussi au niveau européen. Pour retrouver l’ensemble de nos travaux c’est par ici 👉 https://t.co/OfrapMAPH7 pic.twitter.com/nhI7MWVOLV
— États généraux de l'information (@EGinformation) September 13, 2024
On parle beaucoup des algorithmes qui enferment les Français dans des bulles de filtres. Mais ces mêmes algorithmes sont surtout les rouages d’un modèle économique qui enrichit quelques-uns tout en affaiblissant les médias. Là encore, le rapport se contente de survoler le problème, sans proposer de réelles solutions pour redistribuer cette richesse captée par les grandes plateformes. On préfère « encourager » plutôt que « légiférer ». Comme si le simple fait de tendre la main allait suffire à réguler des mastodontes mondiaux.
Enfin, un grand absent du rapport : le soutien aux médias indépendants. Ces petites structures qui, bien qu’essentielles à la diversité du débat, sont étouffées financièrement. Là où des titres comme Le Parisien ou Le Figaro reçoivent des millions d’euros d’aides publiques, des journaux locaux comme L’Eco de l’Ain doivent se contenter de miettes. Et pourtant, ce sont souvent ces médias indépendants qui maintiennent une vraie distance critique face au pouvoir, qu’il soit économique ou politique.
Pourquoi ne pas encourager le financement de ces voix dissonantes, au lieu de renforcer les grands groupes qui possèdent déjà une emprise disproportionnée sur l’opinion publique ? Au lieu de cela, le rapport prône des solutions a posteriori, vérifiant que le pluralisme est maintenu, sans jamais remettre en question la concentration excessive des capitaux.
En définitive, ces États généraux de l’information ressemblent à un grand exercice de communication politique. Derrière les belles intentions affichées, c’est un statu quo qui se profile. Le gouvernement s’est bien gardé de toucher aux véritables leviers de pouvoir. On aura dressé un écran de fumée avec des mots comme « éducation aux médias », « labellisation », « lutte contre la désinformation », mais sans s’attaquer aux fondements du problème : la captation de l’information par quelques grandes fortunes et la crise économique qui étreint la presse indépendante.
Il faudra plus que ce rapport pour redonner confiance dans les médias et sauver un secteur en péril. En attendant, la désillusion continue de grandir chez ceux qui, dans les rédactions, tentent encore d’effectuer leur travail avec intégrité, malgré les tempêtes financières et politiques. Emmanuel Macron voulait marquer l’histoire avec ces États généraux, mais au final, ils risquent de n’être qu’une note de bas de page dans la longue liste des promesses non tenues.
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