Ses visages noirs peints d’un seul tenant ressemblent à de savants collages anatomiques où les yeux, le nez et la bouche ont une vie autonome : Nathaniel Mary Quinn, noir américain et figure montante de l’art contemporain, expose ses « portraits intérieurs » à partir de jeudi à Paris.
Présent dans plusieurs musées aux Etats-Unis, le quadragénaire se réjouit de cette « toute première exposition individuelle » dans la capitale française, à la galerie Gagosian, où il présente jusqu’au 29 juillet une quinzaine de toiles, dit-il, tout sourire.
« Les institutions ont décidé de réveiller la magie et la magnificence de l’art noir qu’elles avaient négligées et qui a toujours été là. La société change » commente-t-il, interrogé sur cette reconnaissance dans le milieu de l’art, après des rétrospectives consacrées à Zanele Muholi ou Faith Ringgold à Paris. « Mais l’art, c’est l’art. Le Caravage était bon parce qu’il était bon, pas en raison de sa couleur de peau ».
A l’huile, à l’acrylique et au pastel gras, « The forging years » (les années de forge), intitulé de l’exposition, parlent « d’une période difficile » de sa vie, marquée par la mort de sa mère dans des circonstances troubles, liées la consommation de drogue de son frère aîné, endetté auprès de dealers.
« J’ai été plongé dans le feu de la vie. Cette expérience m’a forgé et a recréé mon identité. Cette exposition le raconte », confie-t-il. Les portraits de sa famille, de ses amis, de sa communauté, font penser à un amas de viscères ou d’organes dans lequel perce un regard troublant de présence.
Sorte de « portraits intérieurs » touchant aux états d’âme de leurs propriétaires, ils racontent l’histoire d’un homme né à Chicago en 1977 et son enfance dans un contexte familial tendu et violent. Ils parlent aussi de l’histoire collective et renvoient à des thèmes universels comme aux maîtres de l’histoire de l’art.
Un « Éventail humain »
C’est par manque de temps que cet « obsédé du dessin depuis l’enfance » a conçu en 2013 son « langage visuel » si particulier, qui permet de reconnaître sa peinture au premier coup d’oeil.
« Je devais présenter cinq toiles pour une exposition, je n’en avais que quatre et je n’avais que cinq heures pour réaliser la cinquième. Je me suis donc concentré sur l’essentiel: le visage et, dans ce visage, les yeux, le nez, la bouche et seulement une oreille, rien d’autre », raconte-t-il.
« Pour coller à la règle que je m’étais fixée, j’ai isolé chaque partie du visage: une fois dessinée, je l’ai recouverte de papier, avant de m’attaquer à un autre élément. Lorsque j’ai enlevé l’ensemble du papier, ça a été comme de découvrir un cadeau et la naissance de mon nouveau langage visuel, l’expression de moi-même en tant qu’artiste et être humain », ajoute-t-il, imperturbable sous sa casquette, vêtu d’une chemise blanche sous une élégante veste, d’un jean et de baskets.
« Ce procédé m’a permis de fouiller tout un éventail humain. Il transcende toute croyance sociale, supprime tout conditionnement et me permet aujourd’hui d’exprimer ma vulnérabilité et mon empathie pour rencontrer les fondations de l’humanité, ce qui nous constitue », ajoute ce passionné de Francis Bacon.
« Je ressens une certaine parenté avec lui et je l’ai beaucoup étudié », poursuit-il, en évoquant aussi un temps passé à étudier la psychologie sur le terrain, lorsqu’il intervenait auprès d’enfants en difficulté, avant de se consacrer à l’art à plein temps. Si ses portraits font penser à l’utilisation d’images de synthèse, il confesse ne pas trop s’intéresser aux nouvelles technologies, hormis les réseaux sociaux.
« Je ne pense pas qu’elles auront un important impact sur la création. Pour une bonne et simple raison: c’est qu’elles vont beaucoup plus vite que les êtres humains, qui en sont encore à essayer de se comprendre eux-mêmes ». Après Paris, Nathaniel Mary Quinn exposera à l’automne dans un grand musée européen dont le nom n’a pas été divulgué.