L’ancien secrétaire d’Etat au numérique fait partie des 7 premiers souscripteurs de Mistral AI. La start-up étant devenue licorne en à peine 9 mois, ses actions valent déjà des millions d’euros. Il vient d’encaisser une première plus-value.
Les levées de fonds s’enchaînent pour la pépite française de l’intelligence artificielle, Mistral AI. Fondée dans le 19e arrondissement de Paris le 28 avril 2023, l’entreprise vient d’annoncer dimanche avoir levé 385 millions d’euros auprès de l’éditeur américain de logiciels Salesforce, du transporteur CMA CGM, de la banque BNP Paribas, et du spécialiste mondial des puces pour supercalculateurs, Nvidia. De quoi faire de ce nouvel acteur de la French Tech à la fois une licorne et potentiellement un champion européen de l’intelligence artificielle (IA). Car après avoir déjà levé 105 millions d’euros en juin dernier, ce nouveau tour de table valorise la société à 2 milliards d’euros, une croissance fulgurante.
« Depuis la création, nous suivons une ambition claire : créer un champion européen à vocation mondiale dans l’intelligence artificielle », expliquait le PDG Arthur Mensch dans un communiqué publié ce week-end annonçant la finalisation de l’opération. Ce polytechnicien de 31 ans né à Sèvres (Hauts-de-Seine), passé par le laboratoire de l’IA de Google, a souhaité développer sa start-up avec deux autres associés, Timothée Lacroix (32 ans, ex Meta) et Guillaume Lample (33 ans, ex Meta). Des ingénieurs, spécialistes du langage numérique, qui disposaient chacun avant les levées de fonds de 31,8% du capital de la société.
Seulement, pour accompagner les premiers pas de la société, les 3 cofondateurs, ont fait entrer au capital dès la création de Mistral AI, des personnalités du monde numérique. Parmi elles, figurent ainsi l’entrepreneur Jean-Charles Samuelian (36 ans) et son collègue ingénieur Charles Gorintin (36 ans), deux cofondateurs de l’assurtech Alan, qui ont chacun souscrit 1,15% du capital initial de Mistral AI. Leur entreprise Alan Tech figure également dans la liste des souscripteurs à la même hauteur. Mais une personnalité complète l’équipe et pas des moindres : l’ancien secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O, via son entreprise de conseil baptisée Nopeunteo, qui se définit comme « conseiller-fondateur » de Mistral AI.
Celui qui est resté près de 3 ans au gouvernement (Philippe puis Castex) lors du premier quinquennat Macron, a souscrit comme les autres investisseurs minoritaires 17 610 actions (0,01cts d’euros/action) de Mistral AI pour la modique somme de 176,10 euros. Un investissement qui s’est transformé en or puisque sur la base de la dernière levée de fonds effectuée par Mistral AI, les actions initiales de Nopeunteo vaudraient déjà près de… 23 millions d’euros !
Or, d’après Bloomberg, les cofondateurs auraient profité du dernier tour de table pour se délester de quelques actions, le média financier évoquant la vente « de plus d’un million de dollars d’actions », sans que les principaux intéressés n’aient confirmé. Contacté par Capital, Cédric O confirme s’être séparé d’un lot d’actions lors de cette opération, un mouvement technique pour faire de la place aux nouveaux investisseurs. Il confirme en passant rester un actionnaire actif de Mistral AI.
Membre actif du Comité de l’intelligence artificielle générative
Toujours est-il que cette opération financière commence à faire grincer des dents au sein du Comité de l’intelligence artificielle générative, un organe créé sous l’impulsion de la Première ministre, Élisabeth Borne, qui en marge de la Rencontre des Entrepreneurs de France (Medef) l’été dernier, voulait réunir des spécialistes du secteur pour « développer une filière de rang mondial ».
Coprésidé par l’économiste Philippe Aghion et la présidente de l’École normale supérieure, Anne Bouverot, le comité accueille des experts mondialement reconnus comme Luc Julia, Yann Le Cun (chef de l’IA chez Meta) ou encore Arthur Mensch et donc un certain…Cédric O. Les fondateurs de Mistral AI pèsent-ils sur la position de la France alors que la Commission européenne vient d’arracher un accord pour mieux encadrer le secteur ? Cédric O estime ne pas y voir de problèmes, rappelant que les spécialistes précédemment cités font aussi partie de ce comité et que logiquement ils y défendent leurs intérêts et ceux de leurs employeurs. Cela n’empêche pas certains connaisseurs du dossier de s’interroger sur le minutage entre la levée de fonds de Mistral AI et l’accord européen. Une concomitance apparente selon Cédric O puisque l’opération financière de la pépite française aurait été lancée il y a trois mois.
Toujours est-il que les liens que l’ancien secrétaire d’État au numérique est susceptible d’entretenir, pour les besoins de ses nouvelles fonctions dans le privé, avec des membres de l’administration française ou du gouvernement, sont étroitement surveillés. Chargée de trancher les différents cas, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a ainsi mis en garde Cédric O, dans sa délibération du 14 juin 2022 relative à l’un de ses projets de reconversion professionnelle, contre tout conflit d’intérêts et listait notamment une série de mesures pour respecter ses obligations déontologiques.
La HATVP suggérait aussi à Cédric O « de la saisir avant de prendre une participation dans une entreprise appartenant au secteur du numérique pendant une durée de trois ans suivant la cessation de ses fonctions ». Si Cédric O a bien saisi la HATVP pour différents projets professionnels (fondation France Asie, association Sista, cabinet de conseil Artefact, établissement d’enseignement supérieur La Plateforme Marseille) auxquelles la HATVP avait émis des avis favorables sous réserve, l’instance a déjà retoqué l’arrivée de l’ancien ministre au conseil d’administration d’Atos. Pour ce qui est de son investissement dans Mistral AI, aucune délibération n’a été publiée à ce jour par la HATVP. L’intéressé rétorque respecter toutes les règles. Contactée, la HATVP n’a pas encore répondu à Capital sur ce point.