L’aviation, cet immense contributeur aux émissions de gaz à effet de serre, cherche désespérément une alternative plus verte. Et dans cette quête, un matériau auquel on ne pensait pas forcément : l’huile de cuisson usagée. C’est au Japon que cette idée, aussi innovante que surprenante, a trouvé un terrain d’expérimentation. Après avoir mijoté dans des poêles et des casseroles, l’huile de cuisson pourrait bien prendre son envol… mais à quel prix ?
Le concept est simple, presque enfantin : collecter l’huile usagée des foyers pour la transformer en carburant durable d’aviation, le fameux SAF (Sustainable Aviation Fuel). Un carburant qui pourrait remplacer, du moins partiellement, les produits pétroliers qui alimentent actuellement les avions. L’idée est si séduisante qu’elle a trouvé sa place à Tokyo, dans le quartier d’Ota, où un partenariat a été signé entre Japan Airlines et des supermarchés locaux. Les habitants, après avoir préparé leurs repas, sont invités à rapporter leurs huiles de cuisson usagées, qui seront ensuite raffinées et converties en carburant pour les avions.
Un modèle économique circulaire qui semble tout droit sorti d’un rêve écologique. Réduire les déchets tout en faisant avancer les avions, et en plus, en diminuant les émissions de CO2. C’est un peu la promesse du mariage entre cuisine et aéronautique, deux mondes apparemment inconciliables. Pour le Japon, qui dispose d’un grand volume d’huile usagée, l’opération semble logique, voire nécessaire.
Mais il y a un hic. Si ce modèle fonctionne pour le Japon, il ne pourra pas être dupliqué facilement ailleurs. Car au-delà de l’aspect pratique et logique de la collecte d’huile, un problème de taille se profile : l’approvisionnement. L’huile de cuisson, un déchet pourtant omniprésent dans les cuisines, n’est pas une ressource disponible en quantité infinie. D’ici peu, la demande pour le SAF va exploser, mais dans bien des pays, l’huile usagée ne sera tout simplement pas assez abondante pour répondre à l’appel.
Ce qui semblait être une solution écologique pourrait bien se transformer en un piège économique. D’ores et déjà, des pays comme la Malaisie et la Chine exportent leur huile usagée. On peut légitimement se demander si cette exportation, censée être une bonne nouvelle pour l’environnement, n’entraînera pas des dérives. Les coûts de l’huile risquent de flamber, et l’on peut se poser des questions sur la gestion de ce déchet dans ces pays producteurs. Surtout si l’exportation de cette huile implique des transports polluants sur de longues distances, ce qui viendrait contrebalancer l’idée même de l’initiative.
Au fond, cette démarche soulève une interrogation plus large : peut-on vraiment espérer une aviation durable à grande échelle si chaque pays doit compter sur ses propres déchets pour alimenter ses avions ? Le Japon a sans doute ouvert une voie intéressante, mais la route est semée d’embûches. Une bonne idée qui, à l’échelle mondiale, risque d’être plus complexe à mettre en œuvre qu’il n’y paraît. Et si l’on se tourne vraiment vers des solutions écologiques pour l’aviation, il est grand temps de penser à des alternatives plus universelles, moins dépendantes de nos habitudes de consommation et de production.