Nous vivons dans une époque qui se veut progressive, où l’on prône l’égalité des droits, la diversité, l’inclusion. Pourtant, derrière ces idéaux affichés, la réalité nous présente un tableau bien moins reluisant. Car si le discours public met en avant une société inclusive, le fond du problème demeure. Nous vivons dans un monde où les inégalités de chances sont encore et toujours déterminées par l’origine sociale, par les privilèges hérités ou non.
Nous aimons à penser que la réussite est accessible à tous et que chacun peut « se faire » par son talent et sa détermination. Le fameux self-made man reste un modèle de référence. Cependant, derrière cette fable se cache une discrimination massive et silencieuse : la discrimination sociale. C’est celle qui divise la société entre ceux qui, nés dans un environnement privilégié, peuvent bénéficier d’une éducation de qualité, d’un réseau de contacts influents, et de toutes les ressources nécessaires pour gravir les échelons, et ceux qui, issus de milieux modestes, se voient cloisonnés, réduits à naviguer dans un système qui leur refuse les clés de la réussite.
Le pouvoir de l’argent, ou la discrimination des comportements
Ce qui se joue ici va bien au-delà de l’inégalité économique. Il s’agit d’un système de valeurs biaisé, où l’argent confère une supériorité morale implicite. Sous couvert de tolérance et de méritocratie, nous avons en réalité instauré une hiérarchie des comportements, où la richesse devient la mesure d’un comportement respectable et légitime, tandis que la pauvreté est reléguée à la marge, voire associée à une forme d’échec personnel. La société contemporaine, aveuglée par son propre modèle économique, discrimine ainsi non seulement les individus, mais aussi les comportements. L’ambition financière est élevée au rang de vertu, tandis que l’engagement social, l’altruisme ou la volonté de service sont perçus comme secondaires, voire naïfs.
Le danger de cette vision, c’est qu’elle nie la contribution essentielle de ceux qui œuvrent au sein de la société sans recherche de profit. En valorisant exclusivement la réussite matérielle, nous disqualifions de fait des comportements et des parcours qui relèvent de l’intérêt collectif. Un éducateur dans une école publique, un médecin en milieu rural ou un bénévole associatif contribuent de manière inestimable au bien-être social, mais leur engagement, sans appui financier ou sans reconnaissance médiatique, passe inaperçu.
La résilience des invisibles
Et pourtant, dans l’ombre de cette hiérarchie sociale, vivent des individus dotés d’une force que la société a du mal à mesurer : la résilience. Prenons les enfants des rues. Ces jeunes, exclus du système scolaire et familial, trouvent malgré tout les ressources pour survivre et recréer des liens en dehors de la structure sociale conventionnelle. Leur solidarité, leur humour face aux difficultés, et leur capacité à surmonter des épreuves dont beaucoup d’entre nous seraient incapables, sont des formes de résistance qui méritent d’être reconnues.
Ces enfants sont invisibles dans les bilans de croissance économique, mais ils nous rappellent une vérité fondamentale. La dignité ne dépend pas du statut social ni de la reconnaissance publique, elle réside dans la capacité à rester humain dans l’adversité. Ils nous rappellent aussi que ce sont souvent ceux que la société méprise ou ignore qui portent les valeurs les plus profondes, les plus universelles.
Pour un monde qui valorise le comportement et non l’appartenance
Il est peut-être temps de reconsidérer ce que nous valorisons dans notre société. Une véritable égalité des chances impliquerait de récompenser non pas l’appartenance sociale, mais le comportement et les actions individuelles. Pour ce faire, il faut reconnaître et promouvoir les talents et les efforts, indépendamment de l’origine sociale ou du statut financier. Il faut des politiques d’accompagnement, une éducation accessible et valorisante, et surtout une reconnaissance de ceux qui contribuent au bien commun sans rechercher le profit.