Que voir cette semaine ? Le nouveau thriller vénéneux de Paul Schrader mettant en scène un horticulteur, une plongée dans le Paris désert et fantasmagorique du confinement ou une immersion dans Madrid, capitale fragilisée par la crise de 2008.
« Master Gardener », Thriller de Paul Schrader (1h50)
« Jardiner, c’est croire à l’avenir », assure Narvel Roth (Joel Edgerton) qui est horticulteur et gère les plantations de Gracewood, domaine appartenant à la redoutable Norma, patricienne pour laquelle « le meilleur engrais, c’est l’argent ». Hautaine, dédaigneuse, Sigourney Weaver, avec ses tenues pastel et sa coiffure stylée Nancy Reagan, fait très impératrice du Sud. La dame est aussi terrifiante qu’une méchante reine de Walt Disney. Un gala de bienfaisance se prépare. C’est l’événement de l’année. Tout le monde est sur le pont. Le pépiniériste ne s’inquiète pas.
Sa patronne, avec laquelle il a des rapports intimes une fois par semaine à une faveur supplémentaire à lui demander. Sa nièce au parcours compliqué va débarquer. Pourrait-il lui enseigner les rudiments de la botanique, ce qui la remettrait peut-être dans le droit chemin ? Maya est métisse. Le soir, dans sa chambre sombre comme un cachot, Narvel tient un journal dont sa voix off lit des extraits. Il n’y parle que de végétaux.
L’homme revient de loin. On s’en aperçoit au cours d’une scène où il ôte sa chemise. Son torse est constellé de tatouages néonazis, de croix gammées à l’encre noire. L’apprentie les découvrira en se rapprochant de son mentor, au grand dam de sa tante aristocrate. Filmée en images d’une beauté tranquille, dans un calme qui est celui de l’eau qui dort, cette histoire de rédemption file droit vers son but, entre les asters vivaces et les roses grimpantes.
« À contretemps », Drame de Juan Diego Botto, (1h43)
Dans le Madrid de 2008, malmené par la crise bancaire, immobilière, et le chômage de masse, la sonnerie d’un réveille-matin, stridente. Le compte à rebours commence. C’est le top départ d’un film qui va galoper sur 1 h 43, en suivant les destins croisés de plusieurs personnages englués dans un quotidien alarmant. Produit par Pénélope Cruz, À contretemps, le premier long-métrage du réalisateur argentin Juan Diego Botto met en place trois intrigues en parallèle. D’un côté, on suit Rafa (Luis Tosar, très convaincant). Cet avocat spécialisé en droit social, qui devait conduire son beau-fils pour un voyage scolaire, se met en tête de retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre.
S’il ne contacte pas la maman avant minuit, la petite sera placée en foyer…La deuxième intrigue met en scène un couple avec enfant en bas âge injustement menacé d’expulsion. Incarnée par Pénélope Cruz, cette employée de supermarché mise tout sur un collectif anti-expulsion, qui lutte de manière solidaire contre une administration dépassée par les événements, tandis que son mari, qui travaille dans le bâtiment, songe plutôt à expatrier sa petite famille en Argentine. La dernière histoire montre les démarches d’une vieille dame solitaire qui s’est portée caution pour son fils en faillite. Ces trames narratives vont se rejoindre, montrant par-là que tout est lié. Entre thriller et chronique sociale, À contretemps plonge les spectateurs dans une course contre la montre au cœur d’une réalité douloureuse évoquant tour à tour l’injustice, la solidarité et la résilience. La mise en scène au cordeau de Juan Diego Botto parie sur le réalisme, sans être misérabiliste. On pense bien sûr au cinéma social de Ken Loach, à celui des frères Dardenne et même parfois à celui de Stéphane Brizé… Mais ce captivant suspense madrilène en forme d’immersion au plus près des dysfonctionnements de nos sociétés modernes, possède son propre ADN : une pointe de dureté ibérique mâtinée de charme et d’espoir chaleureux.
« Cléo, Melvil et moi », Comédie dramatique d’Arnaud Viard (1h13)
Le boulevard Saint-Germain est désert. Le jardin du Luxembourg est fermé. Rue de Rennes, Arnaud Viard marche au milieu de la chaussée. Le confinement avait du bon. À la télévision, Emmanuel Macron déclare : « Nous sommes en guerre.» Le héros garde ses enfants en alternance. Son ex-femme habite le même quartier. Cela n’empêche pas la rancœur, les disputes. La vie circule dans ce petit film pris sur le vif, comme en direct. Viard a eu raison de ne pas respecter les consignes, de se balader sur ces trottoirs vides. Une voix off nous renseigne sur le personnage. C’est un provincial. Paris lui semble toujours un miracle. Pendant la pandémie, la ville lui appartient. Quelle aubaine ! Il vient d’emménager dans un nouvel appartement. Son fils et sa fille découvrent les lieux, sautent sur les lits, font les idiots pendant le dîner. Leur père raconte ses souvenirs de lycée. En troisième, il fumait des JPS, ces longues cigarettes dans leur paquet verni noir. Il a pris une photo de son père sur son lit de mort. L’émotion se glisse dans les images sur la pointe des pieds. Pas besoin d’en faire des tonnes.
Le quotidien recèle son lot de poésie. La pharmacie est un refuge pratique. Comme elle est tenue par Marianne Denicourt, derrière sa paroi en plexiglas, on comprend que le divorcé achète tout le temps du gel et des masques. C’est une bonne période pour tomber amoureux. Tout est possible. Tout est permis. On peut enfiler un costume blanc à la Eddie Barclay, esquisser des pas de danse place Saint-Sulpice, devenir les rois du monde. À 20 heures, les applaudissements éclatent pour saluer les soignants. On avait oublié tout ça. Arnaud Viard, aussi à l’aise devant que derrière la caméra, a le mérite de nous le rappeler. Quelle intuition il a eue de garder des traces de cette période inédite. Cela tient du journal intime, de la déclaration d’amour à la capitale, d’un hymne à la fantaisie et à la liberté.