Le Mercosur. Ce vieux serpent de mer du commerce international, resurgit de l’eau boueuse des négociations à rallonge. Vingt-cinq ans, oui, vingt-cinq ans de palabres entre bureaucrates européens et sud-américains, pour un accord de libre-échange qui fait l’effet d’un cadavre ambulant qu’on tente de réanimer avec des électrochocs. Un accord “conclu en principe” en 2019 – mais coincé dans les sables mouvants des débats politiques – vient aujourd’hui troubler nos nuits. Et ce n’est pas une douce berceuse.
Dans les campagnes françaises, le ton est plus que grave. FNSEA, Jeunes Agriculteurs, FDSEA… Toute l’artillerie agricole est de sortie, prête à bloquer routes et places publiques le 15 novembre prochain. Et on les comprend. Qui aimerait voir débarquer sur le marché européen des tonnes de viande brésilienne gavée d’antibiotiques, de maïs trempé dans un cocktail chimique interdit ici, ou encore de soja cultivé au prix de la déforestation amazonienne ? Pas eux, et franchement, pas nous non plus.
Mais la Commission européenne, avec un cynisme décomplexé, ose leur proposer un “fonds de compensation”. Un chèque pour panser la plaie ouverte d’un marché européen inondé de produits qui ne respectent ni nos normes sanitaires ni nos principes environnementaux. Un peu comme offrir un sparadrap à quelqu’un qui a perdu un bras. Le communiqué de la FDSEA ne s’en remet pas : “Provocation”, disent-ils. Mais peut-être que “mépris total” collerait mieux.
Macron : champion des grandes déclarations, mais…
Pendant ce temps-là, le président de la République ressasse que l’accord “n’est pas acceptable en l’état”. Une phrase qu’il ressort à intervalles réguliers, histoire de rappeler qu’il est du bon côté de la bataille, celui des agriculteurs, des écologistes, et du bon sens. Mais voilà, l’Allemagne, toujours pragmatique, rêve déjà d’exporter ses bagnoles et ses machines-outils au Brésil, et commence à perdre patience. Le risque pour Paris ? Se faire écraser dans la mêlée par la diplomatie commerciale de Berlin, qui, elle, n’a pas le temps de jouer les protecteurs des normes européennes.
Les députés s’unissent
Chose rare, la politique française réussit un exploit. Unir 200 députés, de la gauche à la droite, contre ce foutu accord. Ils s’époumonent dans une tribune, dénonçant la “trahison” des valeurs européennes et la “souveraineté alimentaire sacrifiée sur l’autel de l’opportunisme commercial”. Des mots forts, des images choc : “poulet dopé aux antibiotiques”, “bœuf élevé sur fond de déforestation”. On croirait presque qu’ils sont prêts à camper devant l’Élysée pour empêcher le passage en force.
Mais attention, ne vous laissez pas emporter par cet élan d’unité politique : il s’agit peut-être plus d’un baroud d’honneur que d’un vrai changement de cap. Après tout, on parle d’un continent qui a laissé filer “100.000 exploitations agricoles en dix ans” sans trop se tracasser.
Une course à l’influence qui pue l’Hybris
Et parlons-en, de ce vieux fantasme européen : se positionner comme un géant commercial face à l’Asie et aux États-Unis. Tout cet accord, c’est aussi une question de prestige, de géopolitique, de course à l’influence. L’Europe veut montrer ses muscles, faire des affaires au Brésil, au Paraguay, et pourquoi pas au-delà. Tant pis si, pour cela, on sacrifie quelques fermes françaises et un paquet de principes environnementaux. Parce que bon, quand il s’agit de commerce, la planète peut bien attendre.
Nous voilà donc à quelques jours du G20 au Brésil, le timing parfait pour voir si la France se tiendra debout ou pliera l’échine. Les agriculteurs préparent leurs banderoles et leurs barrages ; les écolos croisent les doigts. Et nous ? Nous assistons à ce spectacle absurde, en espérant que ce fichu accord, négocié dans une autre ère, finisse peut-être là où il le mérite : dans les tiroirs poussiéreux des projets commerciaux ratés.