L’affaire tragique du viol et du meurtre de Philippine, cette jeune étudiante de 19 ans retrouvée morte au Bois de Boulogne le 21 septembre dernier, a légitimement bouleversé l’opinion publique. Cependant, la façon dont ce fait divers est traité dans les journaux et les sphères politiques mérite que l’on s’interroge.
Les faits, aussi sordides soient-ils, ne sont pas une excuse pour tout. Et pourtant, dès l’annonce de l’arrestation de Taha O., ce jeune Marocain de 22 ans, la machine médiatique s’est emballée. Coupable ? On ne l’a pas simplement désigné comme tel, on l’a érigé en symbole. Ce nom, ce visage, ont fait le tour des plateaux télévisés, des journaux et des réseaux sociaux, comme si tout était déjà plié. On a oublié, très vite, la présomption d’innocence, même si les faits sont têtus. Un principe pourtant essentiel, sans lequel il n’y a ni justice, ni vérité.
Le scénario est malheureusement trop connu. À chaque drame, les journaux s’empressent de chercher un coupable avec l’aide d’avocats en quête d’ascension. Peu importe si l’enquête n’est pas terminée. Peu importe si l’on ne connaît pas encore tous les faits. Il faut rassurer l’opinion publique, lui offrir une explication simple, presque rassurante dans sa brutalité.
Ce besoin de désigner rapidement un coupable ne sert qu’une fonction : calmer les esprits échauffés, apaiser une société en quête de réponses immédiates. On ne prend plus le temps. On ne prend plus le soin de poser les bonnes questions.
🔴⚡Scandale médiatique : #Philippine, 19 ans, a été tuée par un clandestin marocain sous #OQTF déjà condamné pour viol. Voici comme l'info est traitée (et manipulée) par les médias 🇫🇷 :
— Observatoire du journalisme (Ojim) (@ojim_france) September 25, 2024
➡️ Sur France 2, Anne-Sophie Lapix a CACHÉ à ses téléspectateurs que le suspect est un… pic.twitter.com/UCXRJUoFhn
Dans notre histoire récente, l’affaire d’Outreau est là pour rappeler les dangers de ces jugements anticipés. Une affaire qui a détruit des vies d’enfants, non pas par la justice, mais par la machine médiatique et politique qui s’est emballée, là aussi, trop vite.
La présomption d’innocence n’est pas un détail. Ce n’est pas un concept que l’on peut balayer selon les émotions du moment. C’est un pilier, un fondement, sur lequel repose notre justice. Sans elle, que reste-t-il ? Une société de lynchage public, où l’on condamne avant même de connaître les faits. Où la justice n’a plus le temps d’exister, écrasée par la pression médiatique et politique.
Car derrière chaque drame, il y a toujours une instrumentalisation. L’affaire Philippine n’y fait pas exception. Les commentateurs et responsables parlementaires ont rapidement sauté sur l’occasion pour faire passer leurs idées, parfois déconnectées de la réalité de l’enquête. Comme si cette tragédie servait à renforcer des discours préconstruits. On ne parle plus d’une victime, d’une enquête, d’une recherche de vérité. On parle d’agendas, de mesures sécuritaires, de chiffres à brandir pour montrer que l’on fait quelque chose.
"Tous les étrangers en situation irrégulière qui commettent un acte délictueux, quel qu'il soit, seront expulsés." – Emmanuel Macron, 15 octobre 2017
— Outofnone (@Outofnone1) September 27, 2024
Il n'a rien fait à ce sujet en 7 ans, il est donc coresponsable de la mort de #Lola et #Philippine. pic.twitter.com/RhTJsPIfh3
La douleur des proches de Philippine est réelle, immense. Leur souffrance est légitime. Mais comment leur rendre justice si l’on sacrifie la vérité sur l’autel de l’urgence médiatique ? Car au-delà de l’émotion, il reste des questions fondamentales. Et la plus importante est sans doute celle-ci : voulons-nous vraiment une justice juste, ou seulement une justice rapide ?
Dans cette affaire, tout le monde a un rôle à jouer. Les médias devraient prendre un peu de recul, faire preuve de retenue, et respecter le rythme d’une enquête judiciaire. Les politiciens, eux, devraient éviter de s’engouffrer dans cette brèche pour des raisons purement opportunistes. Et nous, Français, devons résister à la tentation du jugement immédiat.
Philippine mérite mieux que cela. Elle mérite une justice sereine, une enquête menée avec soin, sans pression. Parce que la justice, la vraie, demande du temps. Et dans une société où tout va trop vite, nous devons réapprendre à patienter. C’est seulement ainsi que nous pourrons rendre hommage à Philippine.