Voilà presque deux semaines que Michel Barnier a pris ses quartiers à Matignon. Deux semaines au cours desquelles il tente, non sans mal, de composer un gouvernement à l’image du « rassemblement » qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. Mais au-delà des apparences d’une cohabitation pacifique, les tensions sont palpables, et l’avenir politique de cette alliance reste incertain.
En acceptant le poste, Michel Barnier savait qu’il ne s’agirait pas simplement d’occuper un fauteuil. Ce qui se joue actuellement va bien au-delà de la traditionnelle distribution de portefeuilles. Barnier, ce vieux routier de la politique, sait pertinemment que chaque nom avancé doit satisfaire plusieurs lignes directrices : apaiser un Parlement morcelé, rassurer l’Élysée, et surtout, ne pas froisser l’électorat de droite qu’il incarne encore en partie.
Cependant, la tâche semble plus complexe que prévu. Emmanuel Macron, malgré une apparente distance, garde un œil vigilant sur chaque proposition. Pour lui, ce gouvernement ne doit pas seulement gouverner, il doit incarner. Incarner cette « union » que les Français, fatigués des divisions, réclament selon le président. Michel Barnier, lui, doit jongler entre cette vision idéaliste et les réalités politiques bien plus terre à terre. Dans cette équation délicate, chaque compromis devient un enjeu stratégique.
On pourrait croire qu’en laissant la main à Michel Barnier, Emmanuel Macron a fait le choix de s’effacer pour laisser à son Premier ministre une réelle marge de manœuvre. Mais cette lecture est trompeuse. Le président n’est jamais loin, et selon plusieurs indiscrétions, il se réserve le droit d’intervenir. Un ministre démissionnaire le confie sans ambages : si la composition du gouvernement ne lui plaît pas, « Jupiter » s’opposera frontalement. « Il dira que ce n’est pas ce que les Français ont souhaité », souffle un proche du chef de l’État.
Son discours est clair : une large coalition, comprenant des socialistes, des écologistes, et une frange modérée de la droite. Mais l’idée même d’une coalition semble hérisser Les Républicains, qui voient dans cette configuration une opportunité unique de reprendre la main sur le pouvoir exécutif. Laurent Wauquiez, jamais loin des discussions, pousse pour que ses troupes prennent une place de choix dans ce futur gouvernement.
J’ai besoin de vous ! Face à la situation politique grave et inédite de notre pays, construisons un socle politique ensemble, chers @Gerard_Larcher, @BrunoRetailleau, @LaurentWauquiez et @FXBellamy. Nous sommes attendus par les Français. pic.twitter.com/ZVWjJZ2crC
— Michel Barnier (@MichelBarnier) September 12, 2024
Et c’est là que réside toute la difficulté pour Michel Barnier. Ancien ministre, négociateur chevronné, et homme de consensus, il doit gérer des tensions internes au sein de sa propre famille politique. Les Républicains, affaiblis mais toujours influents, voient en lui un allié naturel pour entrer en force au gouvernement. Mais à l’Élysée, on redoute cette prise de pouvoir. « Le président va devoir se battre pour les siens », confie un proche.
Dans cette bataille d’influence, chaque décision prise par Michel Barnier est scrutée. Ses alliés d’hier pourraient rapidement devenir ses adversaires, et son entente avec Emmanuel Macron, qui semblait évidente sur le papier, pourrait vite s’effilocher face aux ambitions divergentes. L’équilibre qu’il tente de trouver est fragile, et la moindre fausse note pourrait remettre en cause cette alliance de circonstance.
La semaine à venir sera donc décisive. La présentation du gouvernement nous dira dans quelle direction va réellement pencher la balance. Si Michel Barnier cède trop de terrain aux Républicains, il risque de s’aliéner une partie de l’opinion publique, et surtout, de décevoir Emmanuel Macron. À l’inverse, s’il suit trop fidèlement la ligne de l’Élysée, il pourrait perdre le soutien de sa base politique. Dans ce jeu d’équilibre précaire, le Premier ministre est seul en première ligne, tandis que le locataire de l’Elysée observe, prêt à intervenir. Il lui faudra de la patience, du tact, et surtout, beaucoup de concessions pour espérer tenir le cap.