Une figure montante de l’administration rebelle syrienne, un homme d’apparence calme, mais au passé sombre, Mohammad al-Bachir vient de prendre la tête du gouvernement de transition instauré par les rebelles islamistes à Damas. Un événement qui, loin de marquer une avancée politique, soulève plutôt des questions sur l’authenticité de cette nouvelle ère et sur la véritable nature de celui qui en sera désormais le leader.
Né en 1983 à Jabal al-Zawiya, dans la province d’Idleb, Mohammad al-Bachir pourrait passer pour un ingénieur à l’allure respectable. Diplômé en génie électrique et en droit islamique de l’université d’Alep, sa formation semble assez anodine au premier abord. Mais dès lors qu’on s’attarde un peu plus sur son parcours, au fil des années, il transforme son profil d’ingénieur en celui d’un homme de pouvoir sans réellement se soucier des principes.
Avant de s’impliquer dans l’opposition syrienne, Mohammad al-Bachir a travaillé dans la compagnie nationale de gaz. Une position peu glamour, certes, mais qui n’empêchait pas de l’intégrer dans les rouages d’un système qu’il prétend aujourd’hui combattre. De là à imaginer que sa réorientation vers les groupes rebelles pourrait être guidée par une véritable conviction idéologique, il y a un pas que l’on peine à franchir.
En janvier dernier, Mohammad al-Bachir prend les rênes du « Gouvernement de salut syrien », une entité autoproclamée qui gouverne les territoires sous le contrôle de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe islamiste dont les méthodes de gouvernance n’ont rien à envier à celles du régime d’Assad, avec son lot de répression et de contrôles draconiens. Avant cela, Mohammad al-Bachir occupait déjà un poste clé en tant que ministre du Développement et de la gestion humanitaire. Un ministre de la gestion humanitaire dans un territoire dévasté par plus de treize ans de guerre ? On frôle le cynisme. Plutôt que de restaurer la dignité des populations syriennes, il s’agissait là de s’assurer une place au sein du groupe pour renforcer sa position dans la future redistribution des pouvoirs.
Une transition sous haute surveillance
Aujourd’hui nommé à la tête du gouvernement transitoire, Mohammad al-Bachir ne fait rien pour convaincre qu’il incarne le renouveau syrien. Bien au contraire. À travers ce gouvernement, les islamistes cherchent avant tout à donner un visage plus « civil » à leur domination. Une tentative évidente de gommer l’image d’un groupe radical aux méthodes contestées, tout en maintenant un contrôle total sur les zones sous leur domination.
Mais qu’attendre d’un homme qui a fait ses preuves dans les arcanes d’une administration rebelle qui, à l’instar de son prédécesseur le régime d’Assad, n’hésite pas à utiliser les populations pour ses fins personnelles ? Quelle légitimité Mohammad al-Bachir peut-il revendiquer, à part celle d’un homme qui a su jouer habilement de ses alliances pour gravir les échelons du pouvoir, sans jamais remettre en question la nature autoritaire de son camp ?
Il est vrai que ce gouvernement transitoire a pour objectif de stabiliser les zones sous contrôle rebelle, de gérer les affaires courantes en attendant un processus constitutionnel, mais encore une fois, il faudra s’interroger sur l’honnêteté de cette transition. Les divisions internes au sein des rebelles, les factions concurrentes et l’influence croissante de puissances étrangères rendent toute avancée démocratique hautement improbable.
Un mandat limité à trois mois : une illusion de pouvoir ?
Le mandat de Mohammad al-Bachir est limité à trois mois. Trois mois pour prouver sa capacité à gérer un territoire rongé par des années de guerre, divisé par des factions rivales et pressé par des crises humanitaires d’ampleur. Mais qui peut croire qu’un homme tel que lui, au profil aussi flou et aux alliances aussi opportunistes, puisse relever un tel défi ? La réalité est que, comme ses prédécesseurs, il ne cherche qu’à maintenir un statu quo où il pourra, lui aussi, tirer les ficelles du pouvoir.
Quant aux promesses de gouvernance civile et d’un avenir meilleur pour les Syriens sous son autorité, elles risquent fort de se heurter à une dure réalité. Un gouvernement transitoire, oui, mais dans quel but ? Pour réformer un système déjà corrompu, ou pour renforcer l’emprise d’un groupe qui, sous couvert de transition, cherche en réalité à asseoir sa domination sur le pays ? La question reste entière.