Le gouvernement va défendre son texte au Sénat puis à l’Assemblée nationale, sans savoir quelle tournure vont prendre les débats. A l’heure actuelle, il n’y a pas de majorité pour le faire adopter.
Gérald Darmanin affichait sa confiance, en début de semaine dernière sur BFMTV, à une semaine du début de l’examen de l’épineux projet de loi immigration. Le ministre de l’Intérieur s’apprête à le défendre au Sénat, à partir de ce lundi 6 novembre, puis à l’Assemblée, fin novembre. Alors que ce texte controversé est dans les tiroirs du gouvernement depuis un an, son sort au Parlement demeure incertain.
En cause, une fois de plus : l’absence de majorité absolue à l’Assemblée. Le camp présidentiel, qui espérait un temps pouvoir compter sur le soutien des députés Les Républicains, se retrouve seul. « On attend de savoir ce que fait le Sénat », où la droite domine, confie d’ailleurs un député Renaissance. Quotidien Libre vous livre quelques points à suivre durant les prochaines semaines de débats.
Le projet de loi immigration devant le Parlement
Ce projet sera d’abord examiné par les sénateurs, du 6 au 14 novembre, puis à l’Assemblée, en commission des Lois, le 27 novembre, avant la séance publique du 11 au 22 décembre. C’est finalement le texte présenté en février en Conseil des ministres qui va être discuté au Parlement, et non une autre version, comme il en avait été un temps question. La tentation de scinder le texte en deux parties, pour voter un coup avec la droite, un coup avec la gauche, a également été abandonnée. Au grand dam de plusieurs députés macronistes.
L’examen du texte a déjà commencé au Sénat. Le projet de loi y avait été adopté en commission le 15 mars. Mais son étude avait été interrompue après l’adoption de la réforme des retraites. Les sénateurs reprendront donc leurs débats le 6 novembre directement en séance publique, sur une version du texte déjà amendée par la majorité sénatoriale de droite et du centre.
« Deux volets » d’un même projet de loi
Un volet répressif, pour « être dur avec les étrangers délinquants », et un « volet d’intégration », pour « les gens qui travaillent », seront présentés au Parlement selon les termes de Gérald Darmanin. « La ligne du gouvernement, c’est d’être dur avec les méchants et d’être gentil avec les gentils », résume le ministre de l’Intérieur. En clair, un « en même temps » très macroniste, qui court le risque, dans une situation de majorité relative, de déplaire à la droite comme à la gauche.
Le gouvernement veut notamment créer, dans l’article 3 du projet de loi, une carte de séjour pour les « métiers en tension », d’une validité d’un an, qui serait attribuée à des étrangers travaillant clandestinement dans des secteurs comme le BTP ou l’hôtellerie, en pénurie de main-d’œuvre. Si le projet de loi est adopté, le dispositif entrera en vigueur « à titre expérimental » jusqu’au 31 décembre 2026. Un bilan de cette mesure sera ensuite transmis au Parlement.
En matière d’intégration, le gouvernement veut rehausser les prérequis demandés aux personnes qui souhaitent s’installer sur le territoire, notamment en demandant un niveau minimal de français pour obtenir une première carte de séjour. Il souhaite également faciliter les expulsions pour les étrangers « ne respectant pas les valeurs de la République », et mieux lutter contre les passeurs.
Les parlementaires LR au centre du jeu
Après avoir, pendant des mois, concentré ses critiques sur la carte de séjour pour les « métiers en tension », la droite estime désormais que sa suppression ne serait qu’un « préalable » pour accorder son soutien au texte. « Cela ne suffit pas », a martelé le chef de file des LR au Sénat, Bruno Retailleau, le 26 octobre sur Sud Radio, énumérant une série de mesures qu’il compte ajouter au texte, dont l’arrêt de l’Aide médicale d’Etat destinée aux sans-papiers. Ce durcissement de la position des LR est consécutif à l’attentat terroriste d’Arras.
Les leaders de la droite évoquent d’ailleurs de plus en plus la menace d’une motion de censure. Le président de LR, Éric Ciotti, a promis, le 29 octobre dans Le JDD, que si « le gouvernement passe en force, notamment en imposant son article 3 qui régularise les clandestins », son parti n’hésitera pas » à déposer une motion de censure ». La droite tente aussi d’imposer son propre tempo, puisqu’elle soumettra sa propre proposition de loi sur l’immigration à l’Assemblée lors de sa niche parlementaire du 7 décembre. « On a fait le deuil de la possibilité d’un accord ponctuel avec LR, on ne cherche pas de deal avec eux », soupire un député influent du camp présidentiel. Mais les députés LR ne sont pas si unis que les caciques du parti veulent le faire croire. Le projet de loi immigration « peut faire péter le groupe », livre un de ses membres, sous le sceau de l’anonymat, estimant que le « texte du gouvernement n’est pas si mauvais pour la France ».
Le camp présidentiel divisé
Les LR ne sont pas les seuls à se diviser sur le texte. Le camp présidentiel lui-même apparaît éclaté entre les tenants de l’aile droite, de l’aile gauche et ceux qui ont l’ADN du « en même temps » chevillé au corps. Là encore, l’article 3 fait office de catalyseur des divisions. L’aile gauche est pour son maintien et l’aile droite pour son retrait, si cela peut permettre l’adoption du texte. « Je n’ai pas de totem. Si on décidait de le retirer, cela ne serait pas contesté par moi », livrait à la mi-octobre un ponte de la majorité. « On ne renoncerait pas à notre âme si on votait sans l’article 3 », appuyait également une élue proche de Gérald Darmanin. Une issue inenvisageable pour l’aile gauche de la majorité, qui s’est mobilisée en coulisses et même publiquement, en publiant avec des députés de la Nupes une tribune en faveur de la régularisation des travailleurs clandestins, le 11 septembre dans Libération.
Autre sujet porteur de divisions : l’Aide médicale d’Etat (AME), qui offre une couverture intégrale des frais de santé aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois. Initialement, le gouvernement ne prévoyait pas de la réformer dans son projet de loi immigration. Mais lors de l’examen du texte en commission au Sénat, les sénateurs LR ont introduit un article qui transformerait l’AME en aide médicale d’urgence, au périmètre de soins plus restreint. A la recherche d’un compromis avec la droite, Gérald Darmanin s’est dit favorable « à titre personnel » à cette idée, dans Le Parisien , s’attirant les foudres d’une partie de l’exécutif. Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, assume « un vrai désaccord » avec le ministre de l’Intérieur , et défend le système actuel.
Le recours au 49.3 en suspens
La possibilité que le gouvernement ait recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter son texte est dans toutes les têtes. Hors textes budgétaires, l’exécutif n’a le droit qu’à une cartouche par session parlementaire. Le projet de loi immigration pourrait bien être celle-là. Mais, dans le camp présidentiel, de très nombreuses voix y sont résolument opposées, notamment parmi les députés. Engager la responsabilité du gouvernement l’exposerait au risque d’être renversé par une motion de censure, qui reste élevé même si les socialistes ne la votaient pas. « Le groupe y est opposé, le ministre [Gérald] Darmanin et la Première ministre aussi », croit savoir un député. « On va au vote et que chacun assume ses responsabilités, tant pis si on perd », glisse une autre.
Des pontes du camp présidentiel ont, eux aussi, fait entendre leur désapprobation à l’idée de recourir à cette arme constitutionnelle, à l’image de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, sur France Inter, ou de François Bayrou, le patron du MoDem, auprès du Parisien. Mais, à ce stade des débats, personne ne peut prédire la fin du film. « Il y a les bons et les mauvais 49.3, analyse un député Renaissance. Les 49.3 sur le budget, ce sont des bons 49.3, ça passe crème. Le 49.3 sur les retraites, c’est un mauvais 49.3. Là, c’est trop tôt pour le dire. »