Paille dans le nez d’une tortue, poisson coincé dans une bouteille… Ce triste tableau appelle à nettoyer les océans pour préserver la biodiversité marine. Mais si les opérations de récupération de déchets en mer attirent tous les regards, leur efficacité reste limitée.
Le plastique est omniprésent. Sur les plages, dans nos paniers de supermarchés. Les scientifiques en ont même retrouvé des traces dans le sang humain. À plus grande échelle, le plastique forme désormais un sixième continent, au large de l’océan Pacifique, de trois fois la superficie de la France.
Une goutte d’eau dans l’océan de plastique, estime Mélanie Bergmann, biologiste au sein L’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, en Allemagne. “Le plastique en surface ne représente qu’1% du total du plastique présent dans les océans”, explique-t-elle.
Les vidéos de nettoyage du vortex du déchet du Pacifique Nord ont attiré beaucoup d’attention. Sur YouTube, plusieurs vidéos ont des dizaines de millions de vues. Au-delà des vues, l’organisation a le soutien financier de plusieurs multinationales comme le constructeur automobile KIA, le groupe Coca-Cola, ou les flottes Maersk.
“Un de leurs partenaires est Coca-cola, qui, d’après la plupart des estimations, est le plus gros contributeur mondial de pollution plastique”, dénonce Sy Taffel, co-directeur du centre de recherche en politique environnementale de l’Université de Massey, en Nouvelle-Zélande.
“Les entreprises comme Coca-cola adorent les projets comme The Ocean Cleanup, parce qu’elles peuvent dire : ”Regardez, nous donnons de l’argent à ce projet qui va résoudre le problème de la pollution plastique dans l’océan”. C’est une manière pour eux de maintenir leur modèle économique, leur niveau de pollution et la quantité d’énergie fossile qu’ils utilisent en disant qu’ils ont trouvé la solution.”
Des reproches injustifiés pour l’organisation Ocean CleanUp qui estime que c’est par son action et son expertise qu’elle pourra inspirer une volonté de changement, mais qu’elle n’a pas de vocation militante ou politique.
“On nous demande parfois des choses qui peuvent être décidées par la loi, par les gouvernements. Nous ne sommes pas le gouvernement, donc ce n’est pas notre rôle. Nous devons nous assurer que ces partenariats sont transparents, qu’ils respectent les meilleurs principes disponibles et qu’ils contribuent à résoudre le problème, explique João Ribeiro-Bidaoui, General Counsel and directeur des affaires publiques à the Ocean Cleanup. […] Je pense que nous devons prendre acte de tous les efforts déployés par ces entreprises pour prendre leurs responsabilités plus au sérieux.”
Une solution peu efficace
Le plastique dans les océans met en danger la biodiversité marine, et par extension la santé humaine, comme le rappelle le biologiste marin Jan Andries Van Franeker. “Pour les plus gros animaux, le risque est qu’ils se coincent dans les filets, et nombre d’entre eux mangent du plastique […], explique le chercheur de l’institut de recherche marine de l’université Wageningen, aux Pays-Bas.
Mais le plus gros problème est peut-être que les gros plastiques se dégradent en petits morceaux, en microplastiques, puis en nano-plastiques. Ils sont ensuite ingérés par le zooplancton, qui est à la base de la plupart des chaînes alimentaires, y compris la nôtre, lorsque nous mangeons du poisson”.
Mais plusieurs scientifiques, dont Jan Andries Van Franeker et sa collègue Susanne Kühn, ont remis en question en 2018, l’efficacité des dispositifs de The Ocean Cleanup. Pour eux, une autre voie est plus intéressante : bloquer l’arrivée du plastique directement depuis les rivières, pour éviter que le flux ne se déverse dans l’océan. C’est justement l’autre projet en cours pour le groupe, qui a mis en place 20 “intercepteurs” dans des rivières depuis 2022.
L’organisation a pour ambition d’intercepter le plastique à l’embouchure de la majorité des 1000 fleuves qu’ils ont identifiés comme la source de 80% du plastique qui arrive dans les océans.
Couper le robinet du plastique
La question de quelle place donner aux solutions dites de “dépollution” ou de nettoyage du plastique se pose lors des négociations d’un traité onusien sur le plastique, qui devrait se concrétiser d’ici 2025.
Elle reste cependant très secondaire, reconnaît même João Ribeiro-Bidaoui, de The Ocean Cleanup, présent lors des sessions de négociations de l’ONU à l’Unesco à Paris du 29 mai au 2 juin. “Ce que nous appelons la dépollution commence à gagner du terrain, notamment du principe de précaution. C’est le principe qui dit que lorsque nous n’en savons pas assez, nous devons faire tout notre possible, y compris en utilisant les technologies disponibles pour prévenir les dommages que nous ne connaissons même pas.”
Pour Mélanie Bergmann, également présente à l’ONU au nom de la Coalition de scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques, les solutions de dépollution des océans sont nécessaires, mais beaucoup moins que celles qui diminuent la production de plastique à la source.
“Je pense qu’elles ont un rôle à jouer, par exemple, pour l’élimination des filets de pêche abandonnés, reconnaît la scientifique. Mais lorsque les gens voient des projets comme The Ocean Cleanup, ils peuvent avoir l’impression que le problème est résolu, et donc qu’il n’y a rien à changer. De plus, cela focalise notre attention sur la question des déchets plastiques, alors que nous devrions examiner l’ensemble du cycle du plastique”.
Pour elle, comme pour de nombreuses ONG, ainsi que le groupement d’états de la Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique, la priorité du traité devra être de “couper le robinet” de la production plastique. Pour l’instant, aucun texte n’a été adopté, mais les Etats se sont mis d’accord pour écrire une première version avant le prochain cycle de négociations au Kenya, en novembre.