Une étape importante a été franchie par les ministres de l’énergie des vingt-sept pour la redéfinition du marché de l’électricité dans l’Union.
Protéger sans aider. C’est le subtil équilibre qui a été trouvé par les ministres de l’Énergie des Vingt-Sept pays membres de l’Union européenne (UE), rassemblés dans une réunion de la dernière chance visant à définir le fonctionnement futur du marché de l’électricité au sein de l’Union. D’un point de vue formel, la balle est désormais dans le camp du Parlement européen avec un premier rendez-vous fixé dès ce jeudi matin. L’objectif est de trouver un terrain d’entente d’ici à la fin de l’année pour graver dans le marbre les nouvelles règles de fonctionnement de ce marché, le market design.
Le texte issu du Conseil devrait permettre à la France de disposer d’un prix de l’électricité qui « reflète le coût de production de son mix énergétique », expliquait mardi soir le ministère de la Transition énergétique. Une bonne nouvelle pour les consommateurs français, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Grâce à ses 56 réacteurs nucléaires, assurant environ 70 % de la consommation d’électricité nationale, le pays dispose d’électrons relativement bon marché. Sauf que, jusqu’à présent, le prix de gros de l’électricité n’était pas directement lié au coût de production moyen mais à celui de la dernière centrale appelée pour produire de l’électricité. Soit, en période de fortes tensions sur le réseau, des centrales à gaz. Tant que les prix de ce dernier étaient faibles, cela ne posait pas de problème. Mais avec la guerre en Ukraine, les cours du gaz ont flambé, entraînant dans leur sillage ceux de l’électricité.
Lorsque le nouveau « marketé design » entrera en vigueur, ce qui peut encore être l’affaire de quelques mois, les prix de l’électricité payés par les consommateurs devraient refléter les coûts de production de l’énergie qu’ils utilisent. Soit pour les Français, deux gros tiers de nucléaire, un petit tiers de renouvelables et quelques pourcents de fossiles. Fini donc les yo-yo sur le prix des électrons : la facture pour les ménages et les entreprises sera prévisible et relativement stable. Pour assurer cette corrélation entre coût de production – faibles en France – et montant de cette facture, deux mécanismes principaux pourront être mis en place. Le premier concerne les gros consommateurs d’énergie, industriels, distributeurs, voire des fournisseurs d’énergie. Ils pourront signer avec des producteurs des contrats d’achat d’électricité (PPA) de long terme – une quinzaine d’années – leur garantissant à la fois un volume d’électricité et un prix garanti.
Le deuxième est un peu plus complexe. Il concerne la mise en place de contrats pour la différence (CFD). Leur possible application au parc nucléaire français existant constitue une véritable « victoire politique » pour Paris. Ce mécanisme repose sur la signature de contrats à long terme entre des entités publiques (l’État) et un producteur d’électricité. Ce peut être EDF, mais aussi un producteur alternatif disposant de capacités éoliennes ou solaires. Les CFD sont fréquemment utilisés lors des procédures d’appel d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour l’attribution de nouveaux parcs photovoltaïques et éoliens. Leur généralisation au parc nucléaire existant a été actée par l’accord de mardi. C’est ce qui pourrait tout changer pour les consommateurs.
« Un choix politique »
En effet, dans le cadre d’un CFD, un prix d’exercice (strike price) du mégawattheure est défini. Quand le marché de gros de l’électricité s’envole, la différence perçue par le producteur entre le prix d’exercice et celui du marché est reversée à l’État, qui peut la redistribuer aux consommateurs. C’est un moyen de les protéger d’une éventuelle flambée des tarifs. « Les recettes seraient redistribuées aux clients finaux et pourraient également être utilisées pour financer les coûts des régimes de soutien direct des prix ou les investissements visant à réduire les coûts de l’électricité pour les clients finaux », mentionne le Conseil européen. Ces mécanismes peuvent revêtir diverses formes : bouclier tarifaire, amortisseur, chèques énergie, captation de la rente inframarginale… « Ce sera un choix politique », mentionne le ministère de la Transition énergique.
Les CFD protègent aussi les producteurs d’électricité. Quand les prix de gros de l’électricité chutent, l’État indemnise le producteur en lui versant la différence entre ces derniers et le prix d’exercice. Ce qui permet de garantir des revenus aux producteurs, de les abriter des aléas du marché et de les encourager à « investir dans des énergies décarbonées ».
L’important est que le prix payé par le consommateur soit le plus proche possible du prix strike, qui reflète lui-même le coût de production. Or en France, il y a encore un débat sur le coût de production du nucléaire. Si bien que la future facture d’électricité des Français n’est pas encore bien définie. Ce coût fait l’objet d’âpres discussions entre l’État et EDF – Luc Rémont son patron doit être reçu ce jeudi par Élisabeth Borne, qui réunit ensuite les ministres concernés. Mais aussi entre la France et ses partenaires européens (notamment les Allemands) qui n’ont pas envie de voir l’Hexagone offrir aux industriels des prix de l’énergie très (trop ?) bas et donc gagner en compétitivité. Tout l’enjeu sera de trouver un niveau reflétant la réalité, tout en étant acceptable par toutes les parties – l’Élysée, la concurrence européenne, EDF, les industriels…
60 euros du MWh
Des pistes ont déjà été ouvertes, avec la publication par la CRE d’un coût de production de l’électricité nucléaire à 60 euros le MWh (mégawattheure). À celui-ci devrait s’ajouter la marge des producteurs – EDF y est d’autant plus sensible qu’il lui faut financer tout ou partie du nouveau nucléaire – mais aussi différentes taxes et frais de transport de l’électricité. Dans son dernier rapport, RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité estimait que le MWh pourrait osciller entre 75 et 80 euros dans les prochaines années, avant de progressivement redescendre grâce à l’arrivée sur le marché de parcs éoliens et photovoltaïques des dernières générations.
« L’accord nous permet de réfléchir sereinement à la régulation sur le nucléaire existant et futur, résumait l’Élysée. La négociation pose un cadre général, différent de la négociation avec EDF, qui est un autre sujet ». Il se dessine ainsi un cadre post-Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce dispositif qui donne accès aux fournisseurs à une électricité à 42 euros le MWh, prend fin au 31 décembre 2025. Une certitude sur le futur cadre : les 42 euros du MWh, c’est du passé. Le prix de l’électricité en France sera plus cher, tout en restant raisonnable.