Le Premier ministre, a lancé une proposition qui a immédiatement fait écho : l’introduction du scrutin proportionnel pour remplacer le mode de scrutin actuel. Selon lui, ce changement serait un gage de justice, permettant de traduire les votes des citoyens de manière plus fidèle à leur représentativité. Mais est-ce vraiment l’optique d’une réforme pour le bien de la démocratie, ou plutôt une manœuvre politique pour préserver l’équilibre des pouvoirs et la place des partis ?
Le principe est séduisant à première vue. Chaque voix compte de manière proportionnelle à la répartition des sièges à l’Assemblée nationale. C’est l’idée d’une représentation plus juste, qui permettrait de donner plus de poids à des voix aujourd’hui marginalisées. Les petits partis se réjouissent déjà de cette proposition, qui pourrait leur ouvrir la voie vers une plus grande présence au Parlement. Mais, si la notion de « justice » qui sous-tend ce mode de scrutin peut faire appel à notre idéal démocratique, les conséquences sur le terrain sont loin d’être aussi simples.
Il suffit de regarder le système des élections européennes, où la proportionnelle est déjà en place, pour se rendre compte des dangers d’un tel système. En l’absence de majorité claire, les partis sont contraints à des alliances souvent contre nature, menant à des compromis qui ne satisfont personne et renforcent la logique du « marchandage politique ». Les partis sont poussés à négocier pour obtenir des ministères ou des engagements spécifiques, et à la fin, ce sont souvent des intérêts partisans qui priment sur l’intérêt général. Plus encore, l’émiettement politique, dont les partisans de la proportionnelle se félicitent, entraîne une politique fragmentée et peu stable, avec des alliances qui se font et se défont au gré des convenances.
La proportionnelle offre aussi un autre paradoxe. Elle éloigne encore plus l’élu de l’électeur. En effet, le scrutin de liste, par définition, repose sur des circonscriptions plus larges, et les candidats sont souvent choisis par des partis politiques, loin des préoccupations locales. Le lien entre un député et ses électeurs se distend, et, au final, c’est la logique partisane qui prime sur le local. On se retrouve avec des élus qui sont davantage les représentants d’une formation politique que d’une circonscription.
Mais revenons un instant à François Bayrou. Ce « vieux routier » de la politique, qui a navigué dans les arcanes du pouvoir pendant des décennies, n’est sûrement pas étranger à la réalité du calcul électoral. La question qui se pose, c’est de savoir ce que cette réforme pourrait signifier pour lui et ses alliés. Car en politique, un mode de scrutin n’est jamais choisi au hasard. Il s’agit souvent d’un levier pour gagner des sièges ou éviter d’en perdre trop. Les parlementaires ne prennent pas de décisions législatives sur un coup de tête ; chaque changement de règles est une tentative de maintenir ou d’améliorer leur position dans le jeu politique. Si Bayrou plaide pour la proportionnelle, c’est sans doute qu’il a des raisons précises de croire que ce système pourrait favoriser son propre camp. Mais que risquent réellement les partis déjà installés dans le jeu politique ?
Si François Bayrou veut convaincre les citoyens de la justesse de son idée, il doit aller au-delà des discours théoriques. Au lieu de s’en tenir à des promesses de « justice » électorale, il serait plus sage de clarifier les conséquences concrètes de la réforme. Quels sont les scénarios possibles si ce mode de scrutin est appliqué ? Quelles alliances pourrait-on voir se former ? Quels avantages et inconvénients pour les partis déjà établis ? Cette transparence est indispensable si l’on veut vraiment parler de justice et de démocratie.
À l’heure où les Français sont désillusionnés par la politique et ses calculs, une réforme électorale, si elle n’est pas expliquée clairement et dans toute sa complexité, risque de ne faire que nourrir la défiance plutôt que de répondre aux attentes de ceux qui souhaitent une plus grande équité dans la représentation politique. François Bayrou doit donc se préparer à démontrer que sa proposition ne relève pas seulement d’une stratégie politique, mais bien d’une vision qui, au final, servira les intérêts des électeurs et non seulement ceux des partis.