En apparence, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) incarne l’idéal du journalisme d’investigation indépendant. Créé en 2007, ce réseau mondial, connu pour des enquêtes majeures comme les Panama Papers ou le Pegasus Project, se présente comme un bastion de la transparence. Cependant, une investigation menée par Mediapart, en collaboration avec plusieurs médias européens et américains, jette une lumière crue sur ses financements. Derrière son discours d’autonomie se cache une dépendance significative envers le gouvernement américain.
L’enquête révèle que les États-Unis financent plus de la moitié des activités de l’OCCRP. En effet, depuis 2014, Washington a injecté près de 47 millions d’euros dans l’organisation, soit 52 % de son budget total. Ces fonds proviennent principalement de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), souvent utilisée comme outil diplomatique par le département d’État.
Ces chiffres, bien qu’impressionnants, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Selon Médiapart, l’OCCRP doit son existence même au soutien initial du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs (INL), une branche stratégique du gouvernement américain, et à la médiation de David Hodgkinson, ancien haut gradé de l’armée. Ce dernier a joué un rôle clé dans les premières années de l’organisation.
L’indépendance affichée de l’OCCRP est d’autant plus mise en doute que Washington détient un droit de veto sur certaines décisions stratégiques, notamment les nominations de hauts responsables. De plus, une clause spécifique interdit à l’organisation d’utiliser les fonds américains pour enquêter sur les États-Unis. Une limite assumée, comme l’a expliqué Shannon Maguire, responsable du dossier à l’USAID : « Nous sommes fiers de soutenir l’OCCRP… mais nous savons très bien à quel point cette relation peut être embarrassante. »
Si l’organisation reçoit également des financements de l’Union européenne et de pays comme la Suède, le Danemark ou la France, ces contributions restent minimes face à l’hégémonie américaine. Cette dépendance soulève des questions sur l’orientation des enquêtes. En effet, plusieurs sources internes évoquent une focalisation sur des cibles politiques spécifiques, comme la Russie ou le Venezuela, en ligne avec les intérêts géopolitiques de Washington.
Des pressions sur la presse
L’enquête de Médiapart a également mis en lumière des comportements troublants de la part de l’OCCRP. Avant la publication de l’article, l’organisation aurait tenté de dissuader le média français, allant jusqu’à brandir la menace de poursuites judiciaires. Une attitude qui contraste avec l’image d’un acteur impartial et transparent.
Pour Drew Sullivan, cofondateur de l’OCCRP, les critiques sont injustifiées. Il affirme que les financements n’ont jamais influencé les enquêtes et que les journalistes enquêtent désormais sur les États-Unis grâce aux fonds d’autres donateurs. Cependant, ces investigations restent rares, et Sullivan justifie cette position en pointant du doigt « des acteurs comme la Russie, bien plus influents dans leur contrôle des médias ».
Cette controverse dépasse le seul cas de l’OCCRP. Elle interroge le modèle même du journalisme d’investigation à l’ère de la mondialisation. Peut-on prétendre à l’indépendance lorsque les financements proviennent d’acteurs géopolitiques puissants ? Derrière les grands titres des Panama et Pandora Papers, une autre réalité se dessine : celle d’un journalisme pris dans les filets des intérêts étatiques.