Selon de nouveaux résultats fournis par l’expérience Alpha menée au CERN, un atome d’antihydrogène « tombe » de la même manière que son homologue de matière, l’hydrogène. Cela réduit les chances d’observer un comportement différent de l’antimatière lorsqu’elle est soumise à l’interaction gravitationnelle, une des pistes pour expliquer son absence dans l’Univers.
Décevantes, forcément décevantes, les conclusions de l’expérience Alpha du CERN, publiées ce mercredi 27 septembre 2023 dans la revue Nature. Même si le résultat est remarquable, étant donné les prouesses scientifiques et technologiques qu’il a fallu réaliser pour y parvenir. Mais voilà, comme il est triste de constater que l’antimatière « n’antigravite pas ».
Un atome d’antimatière, se comporte lors d’une chute libre comme un atome d’hydrogène, même si l’on pousse très loin la précision de la mesure… Plusieurs théories avaient pourtant envisagé des comportements plus originaux : une vitesse de chute différente, ou carrément un sens de chute inversé, la gravitation devient répulsive en présence d’antimatière. Mais non. L’antimatière se révèle tristement « ordinaire », jusqu’ici…
Où sont les antiétoiles, et les antiplanètes ?
Pourtant, son nom exotique, qui a fait le miel de bien des œuvres de science-fiction, laissait espérer un peu plus de fantaisie. L’antimatière est en quelque sorte le reflet de la matière dans dans un miroir particulier, qui n’inverserait que certaines de ses propriétés.
La masse est inchangée, la durée de vie aussi, mais la charge électrique est inversée ainsi que d’autres caractéristiques quantiques des particules. Ainsi le positron par exemple, antiparticule de l’électron, possède une charge positive, quand l’électron est négatif.
Théoriquement, le Big Bang aurait dû fabriquer autant d’antimatière que de matière au début de l’Univers. Pourtant, on ne voit plus aujourd’hui que de la matière. Il n’y a pas d’antiétoiles, ni d’antiplanètes. En revanche, quelques particules d’antimatière fugaces traversent de temps à autre l’atmosphère, voyageant dans les rayons cosmiques issus notamment du Soleil (c’est ainsi que le positron a été découvert en 1932 par le physicien américain Carl Anderson). Sinon, l’essentielle de l’antimatière connue est fabriquée dans les accélérateurs de particules, et notamment au CERN où se déroule l’expérience Alpha.
Fabriquer l’anti hydrogène « pièce par pièce »
Toutes ces expériences sont très délicates à mener car la rencontre matière/antimatière est invariablement explosive : les deux particules se désintègrent en un flot de lumière et d’énergie. Ainsi, si l’expérience Alpha parait simple – étudier la chute d’un antiatome, tel Galilée mesurant la chute des corps depuis le sommet de la tour de Pise (selon la légende) -, la difficulté est extrême car l’antiatome ne doit jamais entrer en contact avec la matière.
Par ailleurs, il faut d’abord fabriquer l’antihydrogène « pièce par pièce », si l’on peut dire. Les antiprotons sont produits à partir de collisions de particules fortement accélérées. Les positrons proviennent de la désintégration radioactive d’un isotope du sodium. Ils sont ensuite fortement refroidis, ce qui revient à les ralentir, puis les mélanger pour former l’atome d’anti hydrogène…
Et à chaque étape, il faut prendre garde qu’aucune antiparticule ne s’égare vers les parois. Elles sont donc piégées par des champs magnétiques. Cela devient particulièrement difficile lorsque l’antiatome d’hydrogène est formé, car il est neutre électriquement, contrairement aux positrons et antiprotons. Il devient donc en théorie insensible au champ magnétique.
Mais pas tout à fait heureusement : il possède un « moment dipolaire » magnétique qui le rend un peu sensible, à condition que le champ soit très puissant. Cela ajoute encore des difficultés techniques à l’expérience, car ce champ est obtenu à l’aide de bobines supraconductrices. Mais une fois l’antiatome piégé, les chercheurs peuvent enfin étudier son comportement lorsqu’il n’est soumis qu’à la gravitation.
Encore un (tout) petit espoir de contrarier Einstein
C’est ainsi qu’ils n’ont repéré aucune différence de comportement entre l’hydrogène et l’antihydrogène. D’un côté, ce résultat n’est pas une surprise, notamment parce qu’il est prévu par la théorie de la relativité générale d’Einstein, décidément bien difficile à prendre en faute.
De l’autre, cela rend plus épais encore le mystère de la disparition de l’antimatière. Car des théories se fondant sur une antimatière qui antigravite pouvaient expliquer la fuite de cette dernière : repoussée par la matière, elle se serait refugiée dans des régions lointaines de l’Univers, hors de notre portée. Cette hypothèse est désormais réfutée par les auteurs de la publication.
Mais ils ne ferment pas totalement la porte à d’éventuelles surprises… « Nous avons exclu que l’antimatière soit repoussée par la force gravitationnelle plutôt qu’attirer, déclare dans un communiqué Jonathan Wurtele, physicien à Berkeley (Californie) et membre de la collaboration Alpha. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune différence dans [la façon dont] la force gravitationnelle [agit sur] l’antimatière. Seule une mesure plus précise nous le dira ». Un écart même très faible par rapport à la relativité d’Einstein suffirait à déclencher une grande révolution. La collaboration Alpha se poursuit donc, laissant encore un petit espoir de découvrir ce qui a bien pu advenir de l’antimatière…