Tirs en direct sur un plateau de télévision, gardiens de prison et policiers pris en otages, écoles et magasins fermés : l’Équateur est plongé, selon son président, dans un « conflit armé interne » avec des gangs de narcotrafiquants qui a déjà fait au moins 10 morts.
L’Équateur, l’un des plus petits États d’Amérique du Sud avec une superficie de 256,370 km2, connaît depuis dimanche une crise sécuritaire sans précédent. Naguère havre de paix, le pays de 18 millions d’habitants, situé entre la Colombie et le Pérou, les deux plus grands producteurs au monde de cocaïne, est devenu un important centre de distribution de poudre blanche vers l’Europe et les États-Unis. Les assassinats dans les rues ont augmenté entre 2018 et 2023, passant de 6 à 46 pour 100 000 habitants. En 2023, 7 800 homicides ont été comptabilisés.
L’évasion du chef d’un gang met le feu aux poudres
La crise a débuté dimanche lorsque Adolfo Macias, alias « Fito », 44 ans, chef des Choneros, un gang d’environ 8 000 hommes, s’est enfui de la prison de Guayaquil. Il avait fait la Une de la presse ces derniers mois après l’assassinat début août de l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle. Le meurtre de Fernando Villavicencio pourrait avoir été commandité par « Fito » depuis sa prison.
Son évasion est une humiliation pour le président Daniel Noboa, élu en novembre sur la promesse de rétablir la sécurité. Le plus jeune président de l’histoire du pays, 36 ans, a répliqué dès le lendemain de la fuite du désormais ennemi public n° 1 en décrétant l’état d’urgence pour 60 jours dans tout le pays assorti d’un couvre-feu de 23 h à 5 h. L’armée est ainsi autorisée à assurer le maintien de l’ordre dans les rues et les prisons.
Le pays dans le chaos
L’annonce de l’état d’urgence n’a pas eu l’effet escompté. Mardi, des scènes de violences ont été recensées un peu partout dans le pays. Des hommes armés ont par exemple fait irruption sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil, prenant brièvement en otages des journalistes et employés de la chaîne. Au milieu des tirs, la diffusion de ces images surréalistes s’est poursuivie en direct pendant de longues minutes. Jusqu’à, l’intervention des forces de l’ordre. Selon la police, personne n’a été blessé dans le raid et treize assaillants ont été interpellés.
Par ailleurs, plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens ont touché diverses prisons, relayées par d’effrayantes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués. Mardi, de nouvelles vidéos ont montré l’exécution d’au moins deux gardiens, par arme à feu et pendaison. L’administration pénitentiaire a fait état de 139 membres de son personnel retenus en otage dans cinq prisons du pays. Fabricio Colon Pico, un chef des Los Lobos, le puissant gang rival des Choneros, a profité du chaos et s’est aussi évadé mardi.
Magasins et écoles fermés
Dans la ville portuaire de Guayaquil, où les groupes criminels sont tout puissants, les violences ont fait au moins huit morts et trois blessés. Deux policiers ont également été tués à Nobol, près de Guayaquil. Des images diffusées sur les réseaux sociaux, difficiles à vérifier, alimentent l’impression d’un chaos gagnant certaines localités : attaques au cocktail Molotov, voitures incendiées, tirs au hasard sur des policiers, scènes de panique…
Dans la capitale Quito, magasins et centres commerciaux fermaient également prématurément. Le ministère de l’Éducation a ordonné mardi soir la fermeture jusqu’à vendredi de toutes les écoles du pays.
Une situation qui inquiète à l’étranger
Mardi soir, au troisième jour de la crise sécuritaire, Daniel Noboa a ordonné dans un décret « la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale » pour « garantir la souveraineté et l’intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non-étatiques ». L’Équateur est plongé, selon son président, dans un « conflit armé interne ».
Le Pérou a annoncé mardi soir avoir déclenché l’état d’urgence le long de sa frontière avec l’Équateur (1 400 km) et renforcé sa surveillance. Les États-Unis sont « extrêmement préoccupés par la violence » et « prêts à fournir de l’assistance », avait déclaré le chef de la diplomatie américaine pour l’Amérique latine, Brian Nichols. Le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou ont également exprimé leur soutien à l’Équateur. La France a recommandé à ses ressortissants de « différer » les voyages en Équateur, connu pour ses îles Galapagos. La Chine a suspendu l’accueil du public dans son ambassade et son consulat en Équateur.