À l’heure où l’Europe se débat avec ses propres fractures, la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN semble cristalliser toutes les tensions. Il ne s’agit plus seulement d’un dossier géopolitique parmi tant d’autres, mais d’un symbole aux ramifications bien plus larges. L’Ukraine, plongée dans une guerre sanglante depuis février 2022, aspire à rejoindre l’Alliance atlantique, perçue comme un bouclier contre l’agression russe. Pourtant, cette ambition se heurte à un mur, celui d’une Europe divisée.
En qualifiant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN de « bonne base pour une troisième guerre mondiale », Robert Fico, Premier ministre slovaque, n’a pas seulement frappé fort. Il a mis en lumière une crainte bien réelle. Pour une partie des dirigeants européens, derrière le désir légitime de Kiev de se protéger contre la Russie, se cache le spectre d’une confrontation militaire à grande échelle. Une guerre en Europe, cette fois-ci officielle, où les grandes puissances mondiales joueraient un jeu dangereux et destructeur.
La ligne de fracture est palpable. D’un côté, les États d’Europe de l’Est et les pays baltes, fervents partisans de l’intégration ukrainienne, persuadés qu’abandonner l’Ukraine serait céder à la menace russe et compromettre la sécurité du continent. De l’autre, les sceptiques, tels que Robert Fico, Viktor Orbán, et même, dans une certaine mesure, l’Allemagne et les États-Unis, qui freinent des quatre fers. Leur argument ? Une escalade qui pourrait devenir incontrôlable. Les mots sont lourds de sens, mais la situation est encore plus complexe qu’elle n’en a l’air.
Que cache donc cette réticence ? L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en l’état actuel des choses, signifierait théoriquement que les pays membres seraient obligés de défendre militairement Kiev en vertu de l’article 5 du traité de l’Alliance, qui stipule qu’une attaque contre l’un de ses membres est une attaque contre tous. Or, en plein conflit avec la Russie, cette perspective est loin de réjouir tout le monde. Une attaque directe sur le sol ukrainien après son adhésion pourrait ainsi déclencher une réponse militaire internationale, ce qui placerait les alliés occidentaux dans une situation périlleuse face à une puissance nucléaire.
Mais la question ne s’arrête pas là. Il y a aussi cette voix dissonante, celle de Viktor Orban, toujours prêt à se poser en rebelle de l’Union européenne. Lui qui avait déjà freiné l’adhésion de l’Ukraine à l’UE avant d’être poussé par la pression de ses homologues, s’oppose aussi à une intégration dans l’OTAN, appelant à un « partenariat stratégique » plutôt qu’à une adhésion pleine et entière. Pour Victor Orbán, il ne s’agit pas seulement de repousser une intégration militaire, mais aussi de maintenir une forme de neutralité face à la Russie, que ni l’un ni l’autre ne souhaite contrarier.
Robert Fico, quant à lui, adopte une posture plus tranchée encore. Son refus de participer à ce qu’il perçoit comme une militarisation aveugle est sans appel. Avec des mots durs et une rhétorique nationaliste, il fustige l’Occident, accusé de soutenir une guerre fratricide. Sa vision est claire : le conflit ukrainien ne pourra pas se résoudre par les armes. Mais cette position, qui peut sembler rationnelle dans une logique de paix à tout prix, frôle parfois la complaisance vis-à-vis de la Russie. Comment alors concilier la nécessité de protéger l’Ukraine avec cette obsession de ne pas froisser Moscou ?
Les ambitions de Kiev sont-elles vouées à n’être qu’un rêve lointain ? La situation actuelle montre que, malgré l’élan de solidarité avec l’Ukraine, l’Europe reste frileuse à l’idée de l’intégrer dans l’OTAN. L’arrivée de Mark Rutte à la tête de l’alliance changera-t-elle la donne ? Il s’est déjà engagé à soutenir l’Ukraine, mais entre discours et actes, il y a un gouffre que plusieurs pays, y compris la Slovaquie de Robert Fico, semblent bien décidés à maintenir.
En définitive, ce que l’affaire révèle, c’est que l’Europe est à un carrefour. Prête à soutenir l’Ukraine dans sa lutte, elle n’est cependant pas unie sur la manière d’y parvenir. Robert Fico n’est qu’un visage parmi d’autres d’un continent partagé entre ses principes et ses peurs. Mais derrière ces positions politiques se cache une réalité plus froide. Chaque jour, des vies sont en jeu, et chaque hésitation à agir laisse le champ libre à un conflit qui, lui, ne semble pas prêt de s’éteindre.