Le sommet des BRICS+, qui s’ouvre cette semaine à Kazan, aurait pu être une rencontre de routine entre les leaders du Sud Global. Mais cette fois-ci, il flotte dans l’air un parfum inhabituel, un brin optimiste. L’Inde et la Chine, deux rivaux de longue date, ont annoncé la veille avoir trouvé un accord sur les patrouilles à leur frontière himalayenne.
Parlons d’abord de ce conflit frontalier entre l’Inde et la Chine, une querelle qui s’étend sur plus d’un demi-siècle. Le monde entier a déjà tourné le regard vers ces montagnes glacées lorsque la guerre éclatait en 1962, suivie de décennies de tensions, de provocations, et d’affrontements sporadiques. Jusqu’à il y a peu, la situation semblait inextricable, entre déploiements militaires massifs, rhétoriques nationalistes et affrontements meurtriers, comme ceux survenus en 2020 et 2022.
Ces confrontations sanglantes sur la Ligne de contrôle effective (LAC), cette frontière non officielle, n’étaient pas seulement des accrochages entre soldats, mais le symptôme d’une rivalité bien plus vaste. Inde et Chine, deux puissances qui se sont longtemps ignorées, sont devenues des compétiteurs pour l’influence régionale, le leadership technologique, et le contrôle stratégique de leurs zones frontalières. D’un côté, Pékin, de plus en plus agressif, étend ses tentacules économiques et militaires à travers l’Asie. De l’autre, New Delhi, méfiante, se rapproche de l’Occident, multipliant les partenariats avec Washington, Tokyo et Canberra pour contenir l’ascension chinoise.
Un accord de façade ?
L’accord annoncé cette semaine est surprenant. D’un coup, après des années de froideur, les diplomates indiens et chinois auraient donc réussi à se mettre d’accord sur des patrouilles dans l’Himalaya ? Les modalités sont claires : un retrait des patrouilles de la LAC et la mise en place d’un calendrier pour éviter tout contact imprévu dans les zones contestées. Mais au-delà des détails techniques, la vraie question est : pourquoi maintenant ?
Certains y verront un simple jeu d’apparence avant le sommet des BRICS+. Une manière, pour les deux géants asiatiques, de montrer qu’ils sont capables de dialoguer. Après tout, Xi Jinping et Narendra Modi sont sur le point de se rencontrer en Russie, et une confrontation à ce niveau ne serait bonne pour personne. Alors, cet accord est-il un geste cosmétique ? Peut-être, mais peut-être pas seulement.
Une nouvelle dynamique au sein des BRICS+
Le timing de cet accord mérite toute notre attention. Il survient alors que les BRICS+, ce bloc de pays émergents, est en train de changer de visage. Depuis janvier 2024, l’Arabie saoudite, l’Iran et d’autres nations ont rejoint le groupe. Cette expansion redéfinit les équilibres internes. Moscou, organisateur du sommet, voit dans cet événement une vitrine de sa diplomatie, dans un contexte où son isolement international est criant. Quant à l’Inde et la Chine, elles comprennent que leur rivalité ne doit pas nuire à leurs intérêts communs dans ce nouveau cadre.
Les BRICS+, malgré leurs divergences, ont toujours partagé un objectif : proposer une alternative à l’ordre mondial centré sur l’Occident. Mais pour cela, il faut afficher une unité, au moins en façade. Et là encore, l’accord sino-indien pourrait servir de coup de théâtre diplomatique. Modi et Xi savent que les caméras seront braquées sur eux, que leur poignée de main sera analysée sous toutes les coutures. Dans ce jeu de mise en scène internationale, la paix, même fragile, devient un outil stratégique.
Le Sud Global : une illusion d’unité ?
Pour autant, ne nous laissons pas aveugler par ce spectacle de bonne entente. Le Sud Global, concept flou qui regroupe une multitude de pays aux intérêts divergents, n’est pas un bloc monolithique. Les ambitions indiennes et chinoises divergent largement. New Delhi veut se poser en alternative à Pékin, et se rapproche de l’Occident pour contrer l’hégémonie chinoise en Asie. Pékin, de son côté, continue de vouloir imposer sa puissance sans partage dans la région. L’accord sur l’Himalaya ne change rien à cette réalité.
Ce sommet des BRICS+ est donc une scène complexe où chaque acteur joue sa partition, parfois en harmonie, parfois en dissonance. Xi Jinping, Narendra Modi, Vladimir Poutine : tous sont conscients des caméras, des regards et des attentes. L’annonce d’une détente sino-indienne est une bonne nouvelle, certes, mais elle n’est qu’un chapitre dans un livre bien plus long et rempli d’incertitudes.
Au final, que devons-nous retenir ? Qu’en dépit des tensions, du climat de guerre froide larvée, des conflits d’intérêts, les grands de ce monde savent aussi faire des pauses.